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les prétentions contraires des deux pays, tous deux plus indifférens à l’argent qu’au point d’honneur, mais l’un prêt à donner l’argent sans faire aucune excuse, l’autre décidé à obtenir une sorte d’excuse avant de recevoir aucune indemnité. Un moment, les États-Unis semblèrent faiblir ; un projet de traité fut conclu entre lord Clarendon et M. Johnson, qui avait succédé à Londres à M. Adams, et qui avait apporté dans ses relations avec l’Angleterre une complaisance facile et banale. D’un bout à l’autre de ce traité, il n’était question que de griefs individuels ; on faisait une sorte de balance entre les pertes des armateurs américains, victimes de l’Alabama, et les pertes subies par des Anglais à l’occasion de la guerre et du blocus, ou même depuis 1853 (les deux pays avaient fait une convention en 1853 pour régler toutes les réclamations pécuniaires faites depuis le traité de Gand en 1815). Le préambule du traité Clarendon-Johnson ne contenait aucune allusion à la rébellion du sud, au rôle qu’avait joué le gouvernement anglais au début de la guerre ; il n’exprimait aucun regret, il ne posait aucune règle de droit international.

Il semblait qu’il y eût une parité parfaite dans la situation des deux pays, que la violation du droit n’eût pas été plus flagrante en quelque sorte d’un côté que de l’autre. Le traité n’était plus qu’un compte de doit et avoir : aussi la nation américaine n’en fut point satisfaite. M. Johnson fut assailli de reproches, et le sénat refusa de ratifier le traité. L’Amérique exigeait quelque chose de plus ; elle avait bien des moyens de faire sentir à l’Angleterre sa mauvaise humeur. Elle avait dénoncé le traité dit de réciprocité qui avait été conclu par le gouvernement de Washington avec le Canada. Par ce traité, les pêcheries de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick avaient été ouvertes aux pêcheurs américains, et en revanche les États-Unis avaient supprimé ou abaissé les droits d’entrée sur les produits de ces deux colonies anglaises. Le gouvernement américain avait strictement observé les règles du droit des gens contre les fenians qui portaient le trouble soit au Canada, soit en Irlande ; mais il s’était enfermé dans l’exécution la plus stricte de ses devoirs, et les journaux du parti démocratique encourageaient plutôt qu’ils ne blâmaient les tentatives des fenians, qui continuaient à avoir à New-York de mystérieux bureaux de recrutement, des caisses, un quartier-général. Les tentatives des Irlandais contre le Canada n’avaient rien de sérieux, mais elles n’étaient pas sans causer des embarras à l’Angleterre, parce que les colonies demandaient sans cesse à la métropole une protection que la nouvelle école radicale anglaise ne veut plus leur accorder.

Ces regrets que la diplomatie hautaine n’avait pas voulu expri-