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saient des ressentimens contre l’Angleterre. De leur côté, les Allemands, si nombreux aux États-Unis, avaient montré pendant la guerre une grande fidélité à l’Union, et leur influence y devenait chaque jour plus grande. Si les complications de la politique européenne faisaient éclater une sorte de guerre non plus seulement générale, mais pour ainsi dire universelle, l’alliance de l’Allemagne, de la Russie et des États-Unis composait une trinité de forces que l’ambition germanique se promettait d’opposer à tous ses adversaires.

L’Angleterre, dont la diplomatie est si vigilante, qui d’ailleurs trouve dans une presse laborieuse et moins préoccupée d’assiéger le pouvoir que d’instruire la nation des informations exactes sur ce qui se passe dans tous les pays, apercevait avec une inquiétude croissante les périls auxquels elle se trouvait exposée, elle s’abritait derrière les maximes de l’école radicale pour couvrir son apparente indifférence aux affaires du continent européen; mais, bien que la doctrine de la non-intervention eût certainement gagné des adeptes de plus en plus nombreux dans tous les partis, la vieille fierté britannique ne laissait pas de souffrir de l’attitude nouvelle de l’Angleterre. Dans les discours, dans les documens même d’une diplomatie habituée à peser et à voir peser ses moindres paroles, on retrouvait de temps en temps l’Angleterre de Canning et de lord Palmerston; malheureusement les actes ne suivaient plus les remontrances. La diplomatie anglaise était condamnée au rôle de Cassandre; elle voyait souvent juste, elle montrait les dangers du doigt, elle ne savait plus les éloigner. Elle ne se servait plus que de sa puissance morale, mais cette puissance menaçait de s’user, et elle le savait mieux que personne. Les États-Unis ne jouissaient pas trop bruyamment de l’amoindrissement politique d’une puissance qui avait laissé éclater sa joie au moment où ils semblaient exposés à une ruine complète. Ils ne se montraient pas trop pressés de régler la question des indemnités, ils aimaient autant conserver un grief contre l’Angleterre que de recevoir les millions qu’elle leur devait; on en était presque venu à chérir ce grief et à redouter que l’Angleterre n’accordât trop pleinement les satisfactions qu’on réclamait. La réserve des États-Unis augmentait à mesure que le désir d’une réparation était plus vif à Londres. La colère américaine s’était calmée dans les joies du triomphe, dans le sentiment de sa puissance agrandie, devant les perspectives d’un avenir sans pareil de richesse, de grandeur et de civilisation. Elle était encore frémissante quand M. Adams demandait en vain (dépêche du 23 octobre 1863) au gouvernement anglais « n’importe quel mode d’arbitrage loyal et équitable. » Cette proposition avait sommeillé près de deux ans dans les cartons du