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Quand lord Granville eut pris la place de lord Clarendon au foreign office, l’un de ses premiers actes fut de déclarer, à la grande satisfaction des négocians intéressés, que la convention conclue par sir Rutherford Alcock ne serait pas ratifiée. Ce diplomate a-t-il renoncé lui-même à des idées de conciliation qui ont obtenu si peu de succès? Il est en congé en Europe depuis dix-huit mois, et il n’est pas encore question qu’il retourne à son poste. L’Angleterre, de même que la France, n’est plus représentée à Pékin que par un simple chargé d’affaires, M. Wade.


III.

Sur ces entrefaites survinrent de graves événemens. Vers la fin de juillet 1870, on apprit en Europe, par un bref télégramme venu des frontières de la Sibérie, que la colonie française de Tien-tsin avait été massacrée tout entière. Les récits détaillés qui parvinrent plus tard révélaient des circonstances atroces. Tien-tsin est une ville d’un million d’habitans, dont l’importance est due à deux belles voies navigables, le Peï-ho et le Grand-Canal. La population native y avait été excitée de longue main contre les missionnaires catholiques, que les préjugés populaires accusaient de voler des enfans, de les égorger et d’employer leurs yeux et d’autres parties de leur corps à des préparations pharmaceutiques. Il est probable que les lettrés ne croyaient pas eux-mêmes à de telles calomnies; mais ils les persuadaient au vulgaire. Or, si doux et inoffensifs que soient les Chinois, ils sont crédules et pleins de préjugés; on sait aussi par expérience qu’une fois lancés ils ne sentent plus le frein. Enfin ce peuple n’a nul respect pour l’enfance; l’infanticide sur les nouveau-nés, le vol des enfans plus âgés, sont des crimes quotidiens. L’une des œuvres les plus louables des missions catholiques consiste à recueillir les enfans abandonnés pour les élever, leur enseigner la doctrine chrétienne et en faire de bons citoyens. Devenus adultes, ces jeunes néophytes se marient, se groupent autour de la mission, lui font une clientèle affectionnée. Les voyageurs qui ont visité la Chine racontent tous que les missionnaires, loin d’être enclins à se procurer des pupilles par des voies illicites, n’ont ni assez d’argent, ni assez de place pour accueillir tous ceux qui leur sont apportés; mais les coquins qui font la chasse aux petits garçons pour les revendre à des bateleurs, et aux petites filles pour un commerce plus infâme encore, s’avisèrent plus d’une fois, quand ils étaient pris sur le fait, de se dire les émissaires des chrétiens; souvent même ils exhibaient les insignes de la foi catholique, avec l’espoir sans doute de se faire réclamer par les consuls européens. Le