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des considérations les plus mesquines ou les moins avouables, et alors il tombe sur des hommes dont l’incapacité perd les empires. Dans le régime constitutionnel, le choix du premier ministre peut ne pas s’élever si haut; mais jamais il ne tombe si bas, parce qu’il est toujours la conséquence d’une aptitude active, dominante et reconnue par le pays.

Dans une république, le président est élu parfois à cause des services qu’il a rendus ou de la gloire qu’il a acquise, mais parfois aussi parce qu’il a le mérite négatif de ne froisser vivement aucune opinion et de ne porter ombrage à personne : très souvent en Amérique c’est cette qualité qui a déterminé le choix du candidat à la présidence. Aussi peut-on dire, je crois, que les premiers ministres en Angleterre ont généralement été supérieurs aux présidens des États-Unis, en exceptant, bien entendu, les fondateurs de l’Union.

Le président est nommé pour agir, il est responsable. Il ne suffit pas qu’il règne, il faut qu’il gouverne; mais il n’a pas le congrès dans la main; il a même peu de moyens d’agir sur lui, car ses chefs de service ne peuvent se présenter dans les chambres. Ses capacités gouvernementales seront donc souvent paralysées, d’autres fois elles provoqueront des conflits; en tout cas, elles ne s’appliqueront que difficilement au gouvernement de l’état. C’est un inconvénient grave, et il n’a point passé inaperçu ; mais il a fallu le subir pour échapper au danger des usurpations de pouvoir et des coups d’état. Entre deux maux, la sagesse consiste à toujours choisir le moindre. Il n’en est pas moins vrai que dans le même pays l’homme le plus capable de le bien gouverner arrivera plus probablement à la direction des affaires comme chef du cabinet que comme président, et dans cette première qualité il pourra mieux faire usage de son habileté gouvernementale que dans la seconde. Dans la monarchie, on peut tirer tout le profit possible de ses capacités, et il n’y a rien à en redouter, car il ne peut songer à une usurpation, le roi le tenant toujours en respect. Comme président, plus il serait doué de talens extraordinaires, plus il nourrirait de longs et vastes desseins, plus même en un certain sens il voudrait la grandeur de sa patrie, que seul il croirait pouvoir assurer, et plus il serait tenté d’employer la force dont il dispose pour s’éterniser au pouvoir. Ainsi donc, dans la monarchie constitutionnelle, la sagesse commande de porter aux affaires l’homme d’état le plus capable, le plus actif, le plus doué de volonté. Dans une république, la prudence conseille de l’éloigner, car mieux vaut un président médiocre qu’un homme de génie usurpateur. L’ostracisme y est souvent une regrettable nécessité.

Un autre désavantage d’un président élu par le peuple pour un terme fixé, c’est l’instabilité, le défaut d’esprit de suite. Au bout