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que ; mais les Yankees, jaloux de ces concurrens sobres, patiens et laborieux, leur faisaient l’existence pénible. En vérité, si les Chinois avaient rendu aux Européens établis dans la Terre des fleurs la dixième partie des avanies que leurs compatriotes recevaient des colons australiens ou californiens, il y a longtemps que les puissances européennes seraient intervenues avec leurs flottes et leurs bataillons. M. Burlingame, qui s’attribuait la tâche de mettre la Chine sur un pied d’égalité avec les nations occidentales, devait avant tout faire rendre justice aux émigrans chinois de la Californie. Au reste ceux-ci, qui ne sont pas exigeans, n’en demandaient pas tant sans doute. Vivre en paix, travailler en liberté, rentrer au pays natal avec quelques centaines de dollars d’économie, ou, en cas de mort, y être rapportés dans un cercueil embaumé, telle était leur seule ambition. Après deux ou trois mois de négociations, M. Burlingame signait un traité de commerce par lequel il promettait la libre navigation du Yang-tse-kiang et l’adoption d’un nouveau système de poids et mesures, à la condition que les émigrans des deux pays seraient reçus avec des égards réciproques, et que les petits Chinois seraient admis dans les écoles publiques de la Californie. Par une clause spéciale, les États-Unis s’engageaient à fournir au gouvernement de Pékin les ingénieurs et ouvriers d’art dont celui-ci aurait besoin par la suite. Quiconque connaît la répugnance qu’inspirent aux Chinois les hommes et les choses du monde moderne pouvait prévoir que cette obligation ne serait pas bien lourde. En somme, cette révision du traité de Tien-tsin reçut l’approbation unanime du sénat ; mais il est à noter que les négocians américains de Shang-haï ne s’en montrèrent pas satisfaits. M. Ross Browne, qui avait été le successeur de M. Burlingame dans les fonctions d’ambassadeur des États-Unis à Pékin, se montrait, d’accord avec tous les Européens établis en Chine, l’adversaire incrédule de la maxime nouvelle, que les puissances asiatiques avaient le droit d’être traitées d’égale à égale par les nations occidentales. Il fut rappelé, faute d’avoir su se plier à la politique du jour ; les témoignages de sympathie qu’il reçut de ses compatriotes avant de partir ne permettaient pas de douter qu’il était à plus juste titre que M. Burlingame le protecteur des intérêts européens.

De New-York, l’ambassadeur de Chine vint à Londres, où il fut bien reçu. Lord Clarendon venait d’adresser un blâme aux consuls et aux commandans de canonnières anglaises qui s’étaient avisés d’intervenir à main armée en faveur de leurs nationaux sans même en référer à l’ambassadeur de la Grande-Bretagne. L’Angleterre ménageait la Chine comme un cultivateur ménage une terre dont le rapport s’accroît à vue d’œil. À Hong-kong, à Shang-haï et