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le nombre des légistes y augmenta en proportion. Les ignorans et les négligens se retirèrent des tribunaux ; les légistes, c’est-à-dire les juges instruits et scrupuleux, prirent leur place.

Cela se fit insensiblement. Les jurys de paysans et les plaids colongers disparurent les premiers, soit parce qu’ils étaient les moins considérés et les plus faibles, soit parce que c’étaient les paysans et les pauvres qui se plaignaient le plus de cette charge. Les jurys bourgeois disparurent ensuite ; dans les cours de prévôté, les jurés cédèrent peu à peu la place à des « praticiens et avocats, » c’est-à-dire à des légistes. Beaucoup de villes adoptèrent l’usage d’avoir à leur service quelques hommes de loi que l’on appelait « conseillers-pensionnaires. » Quand les baillis royaux tenaient leurs assises, ils devaient s’entourer de quelques hommes et, suivant la vieille formule, « faire le jugement par leur conseil ; » mais ils choisissaient eux-mêmes ces hommes « parmi les plus sages, » c’est-à-dire parmi les plus instruits, parmi les légistes. C’est seulement au XVe siècle, si nous ne nous trompons, que les ordonnances enjoignirent formellement de composer les assises « d’officiers praticiens et conseillers ; » mais avant d’être écrit dans les ordonnances, cela était depuis longtemps dans la pratique. Les légistes avaient peu à peu remplacé partout les jurés.

La noblesse, à la vérité, eut longtemps à cœur d’être jugée par ses pairs. On la satisfit en ce sens que les tribunaux devant lesquels comparaissait un gentilhomme continuèrent longtemps à renfermer quelques juges de sa classe et de son rang ; mais les légistes n’en furent pas pour cela exclus. Ce que dit Saint-Simon de ces praticiens qui s’asseyaient sur des escabeaux aux pieds des seigneurs pour leur souffler leur sentence est un pur roman. Ce qui est vrai, c’est que ces légistes siégeaient à côté des seigneurs, sur les mêmes bancs, sans qu’il y eût protestation de la part de ces seigneurs. Dès qu’une cour comptait parmi ses juges deux ou trois gentilshommes du rang de l’accusé, celui-ci n’était pas admis à se plaindre, et la cour passait pour suffisamment féodale. Les légistes pouvaient y former la majorité. Ils avaient voix délibérative à l’égal des seigneurs, et aussi bien qu’eux ils mettaient leurs signatures au bas des arrêts. Au temps de saint Louis, dans ce qu’on appelait la cour du roi ou le parlement, nous lisons en tête des signatures les noms de quelques barons et de quelques évêques ; puis viennent plus nombreux les noms de simples clercs, de moines et de « maîtres ès lois. » On peut faire encore cette remarque : les noms des barons et des évêques changent fréquemment ; ceux des clercs et des maîtres se reproduisent dans de longues séries d’arrêts. C’est que les seigneurs et les prélats ne faisaient que passer,