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des moines de l’ordre des frères prêcheurs ou de l’ordre des frères mineurs.

Beaucoup de gentilshommes aussi se firent légistes. On ne voit pas qu’à cette époque la noblesse ait marqué de la répugnance ou du mépris pour l’étude du droit. Son premier devoir n’était-il pas de rendre la justice, soit dans ses cours féodales, soit dans la cour du roi? Dès lors n’était-il pas naturel qu’un gentilhomme fût soucieux de connaître les lois et les coutumes? Si tous les seigneurs avaient eu le sens politique et l’intelligence des intérêts de leur classe, ils se seraient livrés tous à cette étude. Tenons du moins pour certain que ceux d’entre eux qui comprenaient leur intérêt en même temps que leur devoir devaient donner autant de soin à l’étude des lois qu’à l’étude des armes. Il n’en a été autrement qu’à l’époque où la noblesse est tombée en décadence. Au moyen âge, les chroniques mentionnent fréquemment tel homme noble « qui était savant en droit; » on lit plus d’une fois dans les chartes ces mots appliqués au même personnage : « chevalier et docteur en lois. » Froissart parle « d’un vaillant homme et de grande prud’homie, chevalier en lois et en armes. » Et la manière dont il en parle montre que cette union de deux genres de mérite lui paraissait toute naturelle et n’avait rien qui étonnât; ce n’était ni une exception ni une rareté. On trouve au XIe siècle un fils d’un comte d’Évreux qui écrivit un livre de droit canonique, comme on trouve au XIVe siècle un Talleyrand-Périgord qui se fit connaître par des études sur la jurisprudence. Philippe de Beaumanoir et Pierre de Fontaines, dont nous avons les livres, étaient des gentilshommes, et ce dernier nous fait savoir qu’il écrit pour un gentilhomme « qui veut que son fils s’estudie ès lois et ès coustumes, si que, quand il héritera, il sache faire droit à ses sujets, et retenir sa terre, et ses amis conseiller. »

Après les ecclésiastiques et les gentilshommes, les bourgeois à leur tour étudièrent le droit. N’étaient-ils pas appelés à juger, eux aussi, soit dans les plaids d’échevinage, soit dans les assises? Si la plupart des hommes de cette classe aimaient mieux s’occuper de leur commerce ou de leur industrie, quelques-uns au contraire prirent goût à siéger comme juges ou à parler comme avocats. La société du moyen âge témoignait un très grand respect à ces légistes; la pratique des lois, en ce temps-là, honorait autant que celle des armes. Aussitôt qu’un bourgeois s’était fait connaître et apprécier comme légiste, on le regardait comme au-dessus de la classe ordinaire, et l’on trouvait juste et naturel d’en faire un noble. Non-seulement les rois anoblirent par lettres spéciales quelques légistes, mais il arriva même que ces anoblissemens individuels ne semblé-