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La classe des nobles ne mettait pas plus d’empressement à juger que la classe des bourgeois ou celle des « vilains. » On voit bien dans les documens que le gentilhomme qui se trouvait accusé tenait fort à être jugé par ses pairs, c’est-à-dire par un jury; mais on voit aussi que les pairs ou jurés mettaient peu de zèle à se rendre aux jugemens. La difficulté de les réunir en tribunal était si grande, qu’il fallut admettre que c’était assez de quatre hommes pour former un jury, et qu’on en vint même à se contenter de deux et quelquefois d’un seul. Il fallait bien que la règle se relâchât devant la négligence et le mauvais vouloir de tous. La cour du roi par exemple aurait dû être composée de tous les vassaux immédiats du duché de France; mais il était presque impossible d’obtenir leur présence. Le roi ne convoquait donc pour chaque procès que quatre ou cinq d’entre eux, et il est vraisemblable que, si quelques-uns se plaignaient, c’étaient plutôt ceux qui étaient appelés que ceux qui étaient exclus. Quand nous voyons un suzerain, à titre de président d’un tribunal, choisir lui-même les jurés, cela nous paraît la violation du principe même du jury, et nous sommes tentés d’accuser ce suzerain d’une monstrueuse usurpation; mais le roi ne faisait que subir la loi de la nécessité. S’il n’appelait pas tous ses vassaux au jugement, comme il l’aurait dû d’après la règle, c’est parce qu’il savait que ceux-ci refuseraient d’y venir, et qu’il n’avait d’ailleurs aucun moyen pratique de les contraindre; il devait donc se contenter d’en appeler quelques-uns. Il prenait ceux qui se rencontraient, ceux qui voulaient bien venir, ou ceux qui, venus auprès de lui pour quelque affaire ou quelque sollicitation, ne pouvaient pas décemment refuser « de l’aider en sa cour. » On est surpris de voir que dès le XIIe siècle il ne siégeait plus dans la cour du roi qu’un très petit nombre de barons, et d’y trouver au contraire presque toujours des officiers royaux tels que le bouteiller, le chambellan, le chancelier. Ce n’est pas que les rois aient calculé qu’il leur serait utile d’avoir des juges qui dépendissent d’eux personnellement ; c’est que, les barons n’aimant point à venir siéger, il fallait bien constituer le tribunal avec les gentilshommes que les rois avaient sous la main et qui ne les quittaient guère. Ne disons pas que les rois composaient leur cour de qui ils voulaient; disons plutôt qu’ils la composaient de qui ils pouvaient. Il en était de même aux assises des baillis royaux. Ceux-ci avaient une peine infinie à réunir les vassaux nobles qui devaient faire autour d’eux l’office de jurés. En vain frappaient-ils d’une amende les absens. Il paraît qu’on se résigna plus facilement à payer l’amende qu’à quitter ses affaires ou ses plaisirs pour le fastidieux labeur des assises. Le paiement de l’amende devint l’usage, et la présence aux assises fut l’ex-