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bataillons la bohème féminine, conférencières et journalistes. Les conférencières! c’était une industrie nouvelle, inaugurée depuis quelque temps à Paris. On avait vu monter à l’assaut de ces chaires improvisées, dans les salles de spectacles ou de cafés-concerts, en attendant que cela fût possible dans les églises, d’étranges personnages d’un talent plus que douteux, d’un sexe incertain, accueillis avec plus de curiosité que de sympathie par cette population, bien indulgente pourtant quand on offre un attrait à son ennui blasé. Étaient-ce des femmes, ces orateurs qui venaient nous parler si librement de l’amour libre et réclamer d’une voix si aigre les droits que le despotisme masculin refuse au sexe faible : le droit à la passion, le droit à l’émancipation définitive, le droit à la vie politique? Oui, c’étaient bien des femmes, on nous l’assure, et je consens à le croire; mais on ne peut rendre l’impression maussade que produisaient l’écho de ces lamentations effrontées sut un esclavage dont elles étaient la vivante et désagréable négation, le spectacle de ces attitudes d’improvisation simulée, ces contorsions d’une inspiration sibylline dont on avait étudié les effets dans un miroir, ces gestes aigus, tout cet appareil d’un bavardage prétentieux et superficiel, impertinent et banal, dont justice fut bientôt faite par les sifilets du public. Malheureusement les victimes de ces brutalités des hommes eurent leur revanche, et l’Hôtel de Ville devint leur proie. De gré ou de force, il fallut leur céder une partie du pouvoir, et la conférencière put croire un instant qu’elle allait régner. Sa parole et sa plume se mirent bruyamment au service de l’insurrection, sa parole tous les soirs dans la chaire des églises envahies, sa plume tous les matins dans les gazettes créées pour la circonstance. On connut enfin la journaliste communeuse, c’était la plus acharnée à la vengeance. Nous ne citerons pas ces appels au crime. Le plus maltraité dans ces feuilles absurdes, c’était M. Thiers. Il y est invariablement représenté comme un buveur du sang et des sueurs du peuple. Ah! les sueurs du peuple! en a-t-on assez abusé dans ces derniers temps, et comme on les a follement dissipées! Elles sont saintes et fécondes quand elles arrosent l’outil aux mains de l’ouvrier ou la charrue sur le sillon; mais comme elles sont stériles, ridicules et impies, quand elles tombent sur le journal incendiaire ou sur la tribune du club !

L’émancipation de la femme, c’était la bonne nouvelle, l’évangile de ces dames, les mères de l’église de la commune. Cela marchait de pair avec l’émancipation du prolétariat, et ne laissait pas d’étonner les naïfs, qui avaient cru jusque-là que les femmes et les prolétaires s’étaient suffisamment émancipés eux-mêmes. « Il faut pourtant raisonner un peu, écrivait une de ces dames, croit-on pou-