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que la moindre densité des eaux tièdes les amène toujours au-dessus, tandis que la masse des froides tend à descendre. C’est ainsi que, près du bord méridional du canal, la température du fond marquait 9°, 2 c. (48°,7 F.) à 190 brasses, tandis que 6 milles plus loin, la profondeur s’étant accrue subitement jusqu’à 445 brasses, la température se trouvait réduite à — 1°,1 c. Dans le premier cas, le haut-fond constituait évidemment une digue infranchissable pour le courant froid, tandis que dans le second le sol sous-marin, en s’abaissant, lui fournissait un passage. La nature même du fond de la région froide est un indice de la provenance polaire de ses eaux; la vase à globigêrines disparaît, et à sa place on observe un sable quartzeux d’origine volcanique dont les particules ont été amenées de l’île Jean-Mayen ou du Spitzberg.

En avançant vers le nord, on voit la couche tiède superficielle perdre graduellement de son épaisseur, pendant que la masse froide augmente de puissance aux dépens de la première; plus voisine de sa source, elle occupe un plus grand espace vertical. Dans la direction opposée au contraire, elle tend à se laisser recouvrir par la masse chaude venant de l’équateur. Les eaux froides versées dans le canal des Féroe se joignent à celles qui partent du Groenland et de la baie de Baffin; toutes affectent la même marche, gagnent le fond et s’y accumulent de telle façon, qu’à l’inverse de ce qui se produit au sein de l’atmosphère, le froid envahit les régions profondes de l’océan, comme il règne sur les hauteurs qui hérissent les surfaces continentales.

Les sondages du Porcupine dans la partie orientale de l’Atlantique du nord ont renversé l’opinion, souvent émise par les hydrographes, qu’au-dessous d’une certaine profondeur l’eau de la mer gardait une température invariable de 3°, 8 c. (39° F.). Ce degré marque effectivement le point de la plus grande densité de l’eau; celle-ci, comme chacun sait, se dilate insensiblement à partir de ce point jusqu’à celui de la congélation, où elle diminue en densité, tandis qu’elle augmente en volume par un brusque mouvement de dilatation. Le calme absolu qui règne dans les profondeurs, la composition chimique de l’eau de mer, et mieux encore l’énorme pression des couches supérieures, expliquent suffisamment comment l’eau peut demeurer liquide à un degré inférieur à celui de la congélation. A la faveur de certaines circonstances, on a vu l’eau pure se refroidir jusqu’à — 5° c. sans se solidifier, et un froid de — 2° à — 3° c. est presque toujours nécessaire pour glacer l’eau de mer. Au fond de la mer, les particules froides s’accumulent parce que le poids les entraîne; nulle cause ne saurait diminuer ce froid de la région inférieure, une fois établi, puisque les molécules relativement chaudes se tiennent toujours au-dessus des autres, et que celles