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ne rallièrent qu’une poignée d’hommes. Jamais armée mieux préparée ne s’était offerte aux fauteurs de désordre. Ils surent la manier avec une rare habileté. Ils lui montrèrent une double cause à défendre, la république menacée par la réaction monarchique, les réformes sociales, que les travailleurs avaient le droit d’exiger après les avoir ajournées dans un intérêt patriotique honteusement trahies. Ils eurent fait en même temps de contenir les passions qu’ils soulevaient. Ils se servirent de l’indignation excitée par l’entrée des Prussiens dans une partie de Paris en.la détournant des Prussiens eux-mêmes, contre qui se fussent brisés tous leurs efforts, pour la tourner tout entière contre le gouvernement, dont ils connaissaient la faiblesse. Ils se firent les arbitres de l’ordre, dont ils prirent en main les intérêts le 1er mars, pour le renverser plus sûrement le 18.

Les révolutionnaires impatiens, dont les tentatives prématurées pendant le siège avaient misérablement avorté, cédaient désormais la place à une autre initiative autrement intelligente. L’Association internationale des travailleurs superposait une véritable organisation politique à l’organisation militaire de la garde nationale : c’était un gouvernement complet. Cette redoutable association s’était tenue dans l’ombre après le 4 septembre. Une conversation qui nous a été rapportée peut aider à comprendre quelles espérances elle nourrissait en se résignant à cet effacement volontaire. Un de ses chefs, qui avait joué un rôle important dans les grèves des derniers temps de l’empire, et dont le 18 mars devait faire un des maîtres de Paris, se trouvait dans un fort vers le commencement du siège à côté d’un officier de marine. Il était r vêtu d’un de ces uniformes de fantaisie que les corps francs avaient multipliés. Il expliquait à son voisin pourquoi il était venu à Paris. « Je voulais, disait-il, profiter des fautes de l’empire pour tenter quelque chose. La chute de Napoléon et la proclamation de la république m’ont forcé d’ajourner la partie. Tous les esprits étant à la guerre, je me suis mis à la tête d’un corps de francs-tireurs; mais ces hommes font tant de sottises (il parlait du gouvernement de la défense nationale), que la main me démange singulièrement. Aussi, pour me soustraire à la tentation de les renverser, je me suis fait une loi de ne pas rentrer dans Paris avant la fin du siège. » Sans prendre les mêmes précautions contre la démangeaison d’agir, tous les meneurs de l’Internationale montrèrent la même prudence. Ils attendaient l’heure favorable. Les uns se préparaient à la lutte en s’attribuant ou se faisant donner les premiers grades dans les milices formées contre l’ennemi du dehors. Les autres s’insinuaient dans le pouvoir civil sous la forme de ces comité de vigilance que chaque mairie avait vus se constituer sans mandat. Il ne leur restait plus, pour être