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sacrifier, ils tenaient la balance égale entre les élus d’une minorité factieuse dans une seule ville et les représentans légitimes de la souveraineté du peuple français. Ceux qui jugeaient autrement une telle conduite ne faisaient pas plus de difficulté de l’accepter comme un fait acquis. L’Europe, qui depuis dix mois, quand elle ne nous était pas hostile, ne nous témoignait qu’une compassion sans bienveillance, flétrissait à la fois les crimes des insurgés parisiens et la poltronnerie ou, comme disait le Times, « l’abjecte terreur » de ceux qui les supportaient. La province, où l’irritation contre Paris étouffait même la pitié, retentissait des mêmes accusations. Les Parisiens fidèles à l’ordre, loin de démentir ces accusations, se montraient quelquefois les plus empressés à les propager. Nous sommes sans mesure en France dans le mal comme dans le bien que nous disons de nous-mêmes. Nous n’aimons que les propositions générales et les explications simples; notre logique les réclame, et, soit qu’elles nous appellent au partage d’une gloire universelle, soit qu’elles nous enveloppent dans une universelle infamie, notre vanité y trouve également son compte. Nous sommes fiers de notre part d’honneur, et, tout en prenant notre part de honte, en l’exagérant même au besoin pour nous donner le mérite de ne pas nous en faire accroire, il nous semble que la responsabilité s’efface pour chacun de nous quand elle s’étend à tout le monde. Combien, après nos désastres militaires, éprouvaient une étrange satisfaction à s’écrier : « Je rougis d’être Français! Nous sommes un peuple de fanfarons et de lâches! » Combien, depuis le 18 mars, vont répétant avec le même désespoir hautain : « Je rougis d’être Parisien! Paris n’est qu’une immense maison de fous où les pacifiques sont les instrumens complaisans ou inertes de la fureur des forcenés! »

Il faut protester, au nom de la vérité historique autant que de l’honneur national, contre ces exagérations, qui tombent devant un examen attentif et impartial des faits. Des témoins judicieux, sans dissimuler les fautes et sans atténuer les défaillances, ont vengé ici même le peuple français et les forces improvisées qui lui ont tenu lieu d’armée de ce qu’il y a d’excessif dans les reproches de présomption, d’indiscipline et de manque de courage. On se propose, dans cette étude, de rendre une semblable justice à la majorité salue de la population de Paris. Son attitude vraie, dans les révolutions successives dont elle a été complice ou victime, a déjà été indiquée dans un précédent travail[1]; mais au moment où il parut, on ne pouvait juger dans son ensemble une insurrection qui n’avait pas encore atteint son terme, et il y avait quelque danger pour la paix publique à en exposer toutes les causes. Aujour-

  1. Voyez la Revue du 1er mai.