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table qui représente des rancunes plutôt que des principes. La consorteria se recrute principalement parmi les députés de l’Italie centrale. Ceux qui appartiennent à ce groupe correspondent assez bien à ce qu’on appelait autrefois les doctrinaires en France. Ce sont des hommes de gouvernement, d’un libéralisme modéré, mais décidé. Seulement aucune nuance tranchée ne les sépare de leurs collègues. Quand les partis sont désignés ainsi par des noms sans signification précise, c’est qu’ils n’ont pas de doctrines arrêtées. En Espagne, il en est de même. À côté des républicains, qui eux du moins veulent une forme particulière de gouvernement, il y a des progressistes, des unionistes, des démocrates, tous partisans de la royauté, et très divisés, sans qu’il soit possible de dire sur quel point ils se séparent. À Madrid, j’ai en vain essayé de découvrir quelles étaient les idées générales que les uns et les autres défendaient. On me citait des noms de personnes, on me racontait les origines de ces partis ; on me disait autour de quel chef chacun d’eux se ralliait ; mais quant à des principes généraux, il n’en était point question. À Lisbonne, c’était la même chose.

Pour qu’il se forme des partis forts, consistans, capables d’imprimer un mouvement régulier aux rouages du régime constitutionnel, il faut qu’il existe dans le pays une divergence d’appréciation sur quelque question capitale intéressant la nation tout entière, et dominant par son importance les points secondaires ; il faut que cette divergence saisisse, enflamme le public, et le partage en deux camps opposés ayant chacun son programme arrêté, son but avoué, ses chefs reconnus. L’objet du débat doit être d’un intérêt assez général pour n’y laisser personne indifférent, sans toutefois que les bases de la société ou de l’état soient mises violemment en cause, sinon on marche vers l’anarchie. Le type de ces grands partis qui semblent indispensables à la marche du système parlementaire s’est rencontré en Angleterre dans les whigs et les tories, qui pendant plus d’un siècle se sont disputé le pouvoir, chacun restant fidèle à son programme traditionnel, et tous deux capables tour à tour de diriger le gouvernement d’une main habile et ferme. Malheureusement rien de pareil n’existe encore en Italie. Il semble qu’on devrait y trouver au moins ces deux grands partis qu’on rencontre à peu près partout, le parti conservateur et le parti du mouvement, c’est-à-dire la fraction de ceux qui, se trouvant bien des institutions actuelles, veulent les maintenir, et la fraction de ceux qui, s’en trouvant mal ou rêvant un ordre meilleur, veulent les modifier dans l’intérêt du plus grand nombre. Comme l’a dit très bien l’historien américain Bancroft, la marche régulière du gouvernement dans le monde politique résulte de la lutte de ces deux tendances, comme dans l’univers la marche invariable des planètes est la résultante