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de prospérité et de vraie grandeur. Depuis que la réunion de Rome est venue couronner l’œuvre de l’unification nationale en lui donnant la capitale que l’histoire et la géographie désignent et imposent, la situation de l’Italie est plus favorable que celle de la plupart des autres états européens. Quoique péninsule seulement, ses frontières sont si nettement tracées par les Alpes et par la mer, qu’elle a en grande partie les avantages d’une position insulaire. Aucun de ses voisins ne nourrira plus le rêve inique de lui arracher un lambeau de son territoire. La conservation d’une Italie forte et unie est un intérêt européen de premier ordre, car c’est un élément de paix pour tout le midi. Tant qu’elle était divisée et faible, elle semblait appeler les conquérans étrangers en quête de provinces à prendre, d’apanages à donner aux cadets des familles royales. Aujourd’hui, séparée du reste de l’Europe par les Alpes, comme l’Espagne l’est par les Pyrénées, elle n’a pas plus que l’Espagne à craindre la conquête étrangère, et elle est plus heureuse que celle-ci, en ce qu’elle n’a pas de colonies lointaines à maintenir sous ses lois par la force des armes. Elle peut donc adopter une politique absolument pacifique, réduire son armée et sa flotte, et comme sa voisine, la Suisse, se contenter d’un système bien organisé de milices.

Ç’a été pour les Italiens une grande douleur de n’avoir point pu arracher la Vénétie à l’Autriche par quelque brillante victoire et d’avoir à l’accepter de la main de l’étranger ; mais pour qui songe plus à l’intérêt réel de l’Italie qu’à ses satisfactions de vanité, il n’y a point de regrets à éprouver. Rien n’est plus enivrant et plus dangereux pour le bonheur d’un peuple que la gloire militaire. C’est un poison qui tue la liberté, Un roi victorieux peut à son gré devenir un souverain absolu, car que vaut une constitution pour arrêter des légions rompues à l’obéissance et enflammées par le souvenir de leurs succès ? L’Angleterre et l’Amérique ont vu le péril, et jamais elles n’ont voulu de grandes armées permanentes. Victorieuse à Custoza et à Lissa, l’Italie n’aurait rien pu refuser à ses marins ou à ses soldats, et ses généraux auraient tenu dans leurs mains le sort du pays. Enorgueillie par ses succès, elle aurait voulu dominer l’Adriatique ; elle aurait soutenu les italianissimes de Trieste, rêvé la conquête des côtes et des ports de la Dalmatie, jadis possession de Venise, inquiété l’Autriche et fait naître ainsi une dangereuse rivalité. Vaincue, elle n’a point songé à ces funestes chimères, et elle a tourné son attention et ses forces vers le seul objet d’où résulte le bonheur des hommes, la diffusion des lumières et du bien-être. Il n’y a pour un peuple pire fléau qu’une dynastie militaire. Tout Italien éclairé doit bénir le ciel d’en avoir préservé sa patrie, même au prix des insuccès de la campagne de 1866.

L’Italie possède d’autres avantages encore. Elle n’a point de