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fort occupés d’embellir la chapelle où l’on honore les lares du carrefour. Indépendamment des deux petits dieux avec leur tunique relevée et leurs vases à boire, tels que l’antiquité les avait toujours représentés, et du génie d’Auguste qu’on venait de leur associer, ils y plaçaient souvent d’autres divinités populaires, Hercule, Sylvain, et surtout cette Stata Mater, si aimée des pauvres parce qu’elle avait la réputation d’arrêter les incendies. C’était, on en a fait le compte, plus de deux mille personnes de la plus basse extraction, esclaves ou affranchis pour la plupart, qui participaient tous les ans dans une certaine mesure au gouvernement impérial, et se trouvaient ainsi engagés à le défendre. L’avantage était considérable ; Auguste s’empressa d’en profiter. Pour attacher tous ces pauvres gens à son pouvoir par un lien religieux, il consentit à se laisser rendre, même à Rome, quelques-uns des honneurs qu’on décerne aux dieux ; mais ce n’était encore, comme on le voit, qu’une sorte de culte détourné et qu’une demi-apothéose, puisqu’on n’adorait que son génie.

L’apothéose ne devait être complète que vingt ans plus tard. Lorsqu’il fut mort à Nola, en 767, aucun scrupule ne pouvait plus retenir la reconnaissance publique, et on était libre de lui accorder tous les hommages qu’il avait en partie refusés pendant sa vie. Tacite fait remarquer que ses funérailles ne ressemblèrent pas à celles de César. Le peuple resta calme ; il n’y eut ni violences, ni émeutes, quoiqu’on eût l’air de les redouter. Tout se passa d’une façon régulière et froide. Le sénat reconnut le nouveau dieu, comme c’était son droit d’après la législation romaine. On lui attribua officiellement des temples et des prêtres ; tandis que César avait été fait dieu par une sorte de consécration populaire, Auguste obtint le ciel par décret, cœlum decretum. On imagina pour la circonstance des cérémonies nouvelles et une sorte de liturgie, qui servit de précédent et fut employée dans la suite toutes les fois qu’on accorda l’apothéose à un empereur. Son corps fut porté sur un lit d’ivoire et d’or dans un cercueil couvert de tapis de pourpre. Au-dessus du cercueil, on avait placé une image en cire qui le représentait vivant et revêtu des ornemens du triomphe. Au Champ de Mars, on dressa un immense bûcher à plusieurs étages en forme de pyramide orné de guirlandes, de draperies, de statues séparées par des colonnes. « Quand le corps y eut été mis, il fut entouré par les prêtres ; puis les chevaliers, les soldats, courant tout autour du bûcher, y jetèrent les récompenses militaires qu’ils avaient obtenues pour leur valeur. Des centurions, s’approchant ensuite avec des flambeaux, y mirent le feu. Pendant qu’il brûlait, un aigle s’en échappa comme pour emporter avec lui dans l’Olympe