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adoré qu’en compagnie de la dea Roma, c’est qu’il espère profiter pour son compte de la vénération que cette déesse inspire depuis longtemps au monde. Les habitans de Narbonne, dans le vœu par lequel ils s’engagent envers sa divinité, semblent n’employer à dessein que les plus vieilles formules : ils promettent de consacrer son autel avec les rites et d’après la loi d’un des plus anciens sanctuaires de Rome, celui de Diane de l’Aventin. Dans la liturgie des Frères Arvales, le nom d’Auguste se trouve rapproché de celui de ces divinités primitives dont les gens du monde avaient presque perdu le souvenir, et qui ne se retrouvaient que dans la mémoire du peuple. C’était le moyen de donner à ce culte nouveau ce qui seul lui manquait, la consécration de l’antiquité. Grâce à cette préoccupation d’Auguste de chercher à l’apothéose impériale des précédens dans le passé de Rome, il arriva qu’elle prit alors et garda toujours un caractère romain. Dans l’Orient, l’homme auquel on accorde les honneurs divins est en général identifié avec un dieu, ou plutôt un dieu descend et s’incarne en lui ; Il en prend les attributs, il en porte le nom. Dans ces fêtes que Cléopâtre donnait à son amant, elle paraissait vêtue en Isis, tandis qu’auprès d’elle son grossier soldat essayait de jouer le rôle d’Osiris. Ce n’était pas un simple déguisement : les flatteurs disaient et la foule était disposée à croire qu’on avait vraiment sous les yeux les grands dieux de l’Égypte. Les Grecs, dont la servilité ne se rebutait de rien, tentèrent souvent de diviniser les césars à la façon orientale ; les césars parurent même goûter assez cette forme nouvelle de l’adoration quand ils étaient fatigués de l’autre, et on l’employa quelquefois à Rome pour leur faire plaisir. Néron, à son retour de la Grèce, où il avait remporté si facilement tant de couronnes dans les jeux publics, fut charmé d’être salué par la populace romaine du nom d’Apollon. Commode ne se faisait représenter que sous les traits d’Hercule, et il se donnait ordinairement ce titre sur ses monnaies ; mais ce ne sont là que des exceptions. Il est en somme très rare que les césars aient pris pour eux ou qu’ils aient donné à leurs prédécesseurs le nom d’un dieu. L’apothéose romaine a quelque chose de moins mystique et, si l’on peut ainsi parler, de plus humain que celle des peuples orientaux ; elle suppose qu’un homme, par ses efforts personnels et sa vertu propre, peut s’élever de lui-même à la condition divine, mais non pas qu’un dieu descend en lui et le transfigure. Si elle fait trop d’honneur à l’homme, il faut convenir qu’elle insulte beaucoup moins le ciel. Il était moins inconvenant après tout de faire de Messaline et de Poppée des divinités particulières et personnelles dans lesquelles chacun pouvait avoir la confiance qu’il voulait que d’humilier deux déesses respectables en regardant ces courtisanes couronnées