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hommes s’adoucira. » C’était un beau rêve, et il était bien naturel que l’on pressât Auguste de le réaliser en acceptant au plus tôt l’apothéose. Auguste eut le bon sens de résister à ces excitations, et de ne pas permettre que de son vivant on lui élevât de temple à Rome. Cependant la reconnaissance ou la flatterie pouvait prendre des détours qu’il lui était bien difficile de prévoir et de prévenir. C’est ce que nous montre Horace dans cette épître célèbre où il fait remarquer à Auguste qu’il est le seul de tous les grands hommes auquel on ait rendu justice avant sa mort, « Tu vis encore, lui dit-il, et déjà nous te prodiguons des honneurs qui ne sont pas prématurés, nous te dressons des autels où l’on vient attester ta divinité. » Ces vers, qu’il faut prendre à la lettre, car ils sont placés dans un ouvrage où rien n’est mis au hasard, nous prouvent que dans les chapelles privées, dans les sanctuaires de famille, partout où l’autorité souveraine de l’empereur ne parvenait pas aussi directement, on lui adressait des prières, on jurait par son nom, on osait résister à ses ordres, persuadé peut-être qu’en lui désobéissant on ne courait pas le risque de lui déplaire. Néanmoins, je le répète, son culte, tant qu’il vécut, ne fut pas officiellement établi dans la capitale de l’empire : il put se laisser rendre par exception quelques-uns des hommages réservés aux dieux, il n’accepta jamais l’apothéose véritable. Les historiens l’affirment, et l’on n’a trouvé jusqu’à présent aucun monument qui contredise leurs affirmations. Ce fut donc partout, et surtout à Rome, la tactique d’Auguste de ne sembler jamais souhaiter les honneurs divins, et de ne paraître occupé, quand on les lui offrait, qu’à les fuir ou à les restreindre. Si par hasard il consentait à les accepter, ce n’était pas sans prendre des précautions et des ménagemens infinis. Par exemple il se laissait plus volontiers bâtir des temples en province qu’en Italie, et en Italie qu’à Rome. Il savait bien que l’éloignement entretient le prestige, et qu’il est difficile de paraître un dieu quand on est vu de trop près. À Rome même, lorsqu’il crut devoir se relâcher de sa sévérité, ce ne fut qu’en faveur des affranchis, des esclaves. L’incrédulité des gens du monde l’effrayait ; il craignait que l’apothéose ne fût de leur part qu’une flatterie sans sincérité dont ils se moquaient tout bas. Les petites gens lui semblaient de meilleure foi et plus portés à croire naïvement à la divinité du maître. En Italie, comme dans les provinces, il prit soin de rattacher toujours les cérémonies nouvelles qu’on instituait pour lui aux usages et aux traditions du passé. C’était sa politique ordinaire de donner à ses nouveautés un air antique ; il n’y manqua pas en cette occasion. Partout nous voyons son culte se substituer adroitement à des cultes plus anciens ou s’associer avec eux. S’il ne veut être