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qu’Auguste n’y voulut avoir ni temples, ni autels tant qu’il vécut, et qu’il le défendit avec une grande obstination, in urbe quidem pertinacissime obstinuit hoc honore. L’obstination n’était pas de trop ; il en fallait beaucoup pour résister à l’opinion publique, qui mettait un empressement singulier à faire d’Auguste un dieu. Il n’est aucun poète pendant ce long règne qui n’ait chanté l’apothéose impériale. Virgile, le plus grand de tous, commence aussi le premier. « Il sera toujours un dieu pour moi, disait-il deux ans à peine après les proscriptions, et le sang d’un agneau pris dans ma bergerie rougira souvent son autel. » C’était bien aller un peu vite ; mais on venait de lui rendre ce petit domaine qu’il aimait tant. Quelques années plus tard, dans cette étrange dédicace qu’il a mise en tête de ses Géorgiques, il disait à Auguste, presque d’un ton de reproche : « Il faut t’habituer enfin à te laisser invoquer dans les prières. » L’ancien républicain Horace se demandait quel dieu pouvait être ce jeune homme qui venait ainsi au secours de l’empire en ruine ; il penchait à croire que c’était Mercure, et lui demandait en grâce, puisqu’il était descendu du ciel, de vouloir bien n’y pas remonter trop vite. Quand Auguste eut remporté sur les Parthes ce succès diplomatique dont il sut tirer un si grand parti, lorsqu’il les eut contraints sans combat à lui rendre les étendards de Crassus, l’admiration d’Horace ne connut plus de limites. « La foudre, disait-il, nous annonce que Jupiter règne dans le ciel ; comment douter ici-bas de la divinité présente d’Auguste quand nous le voyons ajouter les Parthes à son empire ? » Voilà le commencement de ces comparaisons de l’empereur avec Jupiter qui allaient devenir bientôt si humiliantes pour le maître de l’Olympe. Tout du reste n’était pas mensonge dans ces protestations des poètes et dans cet empressement du public dont ils se faisaient l’écho. Beaucoup étaient sincères lorsqu’ils cherchaient quelque honneur nouveau, quelque hommage inusité pour témoigner leur reconnaissance au prince qui avait rendu la tranquillité au monde. « Le bœuf, disait Horace, erre en sûreté dans les champs ; Cérès et l’Abondance fécondent les campagnes ; sur les mers paisibles volent de toutes parts les nautoniers. » N’était-ce pas un vrai miracle après tant de guerres horribles ? et celui qui l’avait accompli contre toute attente ne méritait-il pas des autels ? Le bon Virgile avait annoncé déjà que l’apothéose de César allait amener le règne de la paix. Les dix ans de troubles et de massacres qui la suivirent n’avaient pu tout à fait le détromper. La soif de repos dont il était dévoré lui faisait oublier facilement son mécompte, et il attendait avec confiance de la divinité d’Auguste ce qu’il avait espéré en vain de celle de César. Alors, disait-il, les guerres cesseront, et l’humeur farouche des