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éleva au milieu du théâtre, dans un endroit exposé aux regards de tous, une sorte de chapelle semblable à celles qu’on nomme des autres de Bacchus. On y voyait des tambours, des peaux de faon et tout ce qui sert au culte de ce dieu. Là, depuis le matin, Antoine, étendu avec ses amis, s’occupait à boire, servi par ces bouffons qu’il avait amenés d’Italie, et toute la Grèce assistait à ce spectacle. » On sait par Plutarque dans quel appareil mythologique Cléopâtre vint le trouver en Cilicie, sur une galère dont la poupe était d’or, les voiles de pourpre, les rames d’argent, avec des amours et des nymphes qui s’appuyaient sur le timon et sur les cordages, au milieu des acclamations d’un peuple charmé qui saluait Aphrodite et Bacchus [1]. Octave paraît de beaucoup le plus raisonnable des trois. Certes les flatteurs ne manquaient pas autour de lui, et l’on n’aurait pas hésité à lui accorder les honneurs divins, pour peu qu’il en eût témoigné la moindre envie ; mais il ne paraissait pas y tenir : il visait au solide, et, tandis que son rival perdait son temps à se faire adorer des lâches populations de l’Orient, il travaillait à pacifier l’Italie et à rassembler une bonne armée. Il était pourtant difficile qu’il échappât tout à fait à ces hommages, et qu’il refusât toujours de les accepter. Lorsqu’en 718, après beaucoup de péripéties, il dispersa les flottes de Sextus Pompée, la joie fut très vive en Italie. Pompée avait commis l’imprudence d’appeler à lui les esclaves, et, devant la crainte d’une guerre servile, toutes les préférences politiques s’étaient effacées ; tous les partis faisaient des vœux pour le succès d’Octave. Quand il fut victorieux, les villes italiennes, pour reconnaître le service qu’il venait de leur rendre, s’empressèrent de placer sa statue à côté de leurs dieux protecteurs. L’enthousiasme fut plus grand encore après la victoire d’Actium. Pendant qu’Antoine allait se cacher en Égypte, Octave, avec ses légions triomphantes, traversait ces pays de l’Orient ou l’apothéose du souverain, mort ou vivant, était une des formes ordinaires de l’obéissance, et qui d’ailleurs avaient à se faire pardonner leur servilité pour Antoine. Ils réclamèrent avec insistance comme le plus grand des bienfaits le droit d’adorer le vainqueur ; ce droit leur fut accordé, mais avec des restrictions. Octave ne voulut être adoré qu’en compagnie de la déesse Rome, et il défendit expressément à tous les Romains de prendre part à ce culte. Sous ces réserves, il laissa la province d’Asie lui bâtir un temple à Pergame, et celle de Bithynie à Nicomédie. L’exemple était donné, et peu à peu des

  1. Malgré la séduction que l’Orient exerça sur lui, le soldat romain, goguenard et intéressé, se montre souvent chez Antoine. On raconte que, les Athéniens ayant proposé de marier le nouveau dieu à leur déesse Minerve, il les prit au mot, et demanda une dot de mille talens qu’il se fit rigoureusement payer.