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sès va jusqu’à s’intituler chef des dieux, parce qu’il est la manifestation de Dra, le dieu suprême, qui fait habiter dans la personne du roi la plénitude de la divinité. On voit comme l’idée d’incarnation plonge loin dans la conception religieuse de l’ancienne Égypte.

La décadence arrive : Cambyse et ses Perses iconoclastes dévastent les sanctuaires, mais ne peuvent extirper une religion dont les racines pénètrent si avant dans la conscience du peuple. Seulement depuis lors on peut dire que le développement de la religion égyptienne s’est arrêté. La domination grecque, succédant à celle des Perses, trouve et maintient cette religion avec sa prodigieuse opulence de symboles, de notions, de rites, d’innombrables divinités, tantôt réunies malgré leur diversité d’origine, tantôt scindées malgré leur identité, et les Grecs ignorèrent jusqu’à la fin la critique des religions étrangères. Ils se contentèrent d’assimiler vaguement les principales divinités égyptiennes à leurs dieux nationaux. L’oasis d’Ammon, habité par une colonie thébaine qui y avait porté le culte de son dieu Amun et sa statue à tête de bouc, leur inspira une vénération toute particulière. Le mystérieux oracle du désert succéda en réputation à ceux de la Grèce, qui tombaient en discrédit ; mais les Grecs s’empressèrent de reconnaître un Zeus, un Jupiter cornu, dans l’être caché dont les réponses symboliques devaient être interprétées par les membres d’un sacerdoce plus vieux que les pyramides.

Nous omettons dans cette rapide esquisse une foule de détails intéressant sur les innombrables bizarreries, ou du moins ce qui nous paraît tel, de cette antique religion. M. Tiele, en cherchant la conception fondamentale qui en constitue le principe, la trouve dans celle de la vie, de son indestructibilité malgré les destructions apparentes de ses manifestations, qui se succèdent et se répètent sans cesse. Le grand symbole divin, c’est le signe de vie et l’idée essentielle du mythe d’Osiris, du dieu mort qui revit, se retrouve au fond de tous les cultes égyptiens. De là cette importance partout attachée aux familles divines et la notion généralement reçue de la divinité comme nuter, c’est-à-dire se rajeunissant toujours. De là aussi la fermeté de la croyance à la vie future et à ses conséquences heureuses ou terribles. Peut-être faudrait-il rattacher aussi à cette conception primordiale et la vénération de l’animal vivant, regardé comme vase ou récipient de la divinité, et cet amour de la fixité, cette fidélité aux formes organiques une fois établies qui domine tout en Égypte, l’art, le gouvernement, l’industrie, et qui s’étend jusqu’au respect minutieux du cadavre.

Ce qui au premier abord paraît très singulier, c’est que l’ancienne Égypte ait pu associer, comme ses monumens écrits et sculptés nous l’attestent, des notions très abstraites de l’essence divine à un symbolisme si souvent monstrueux, et un sentiment très vif de l’unité