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faudrait pas cependant recommencer souvent, il ne faudrait pas qu’on eût trop fréquemment ce spectacle qu’on a eu pendant quelques jours à Versailles. Le matin tout était arrangé, le soir tout était rompu ; la combinaison de la veille échouait le lendemain pour être bientôt reprise. Les négociateurs les mieux intentionnés étaient obligés de se remettre à tout instant en campagne. Assurément les affaires ne se font pas toujours avec une simplicité parfaite ; les médiations, les transactions entre les hommes sont nécessaires, et c’est encore une marque de sagesse de s’y prêter. Il ne faut pourtant pas oublier qu’il y a des heures où cette diplomatie des partis, quelquefois à peine distincte pour le public, peut sembler singulièrement disproportionnée avec les terribles grandeurs et les périls d’une situation. Malgré soi, on détourne son regard, et on se dit que ce n’est peut-être pas le moment des petites agitations parlementaires lorsque les ruines de la guerre civile fument encore, que c’est bien du temps perdu pendant que le pays attend et souffre, pendant que l’ennemi se promène en maître dans nos campagnes, pendant que tout est à faire ou à refaire. C’est ce contraste pénible, presque irritant, des vaines querelles des partis et des nécessités d’une situation douloureuse qu’il faudrait autant que possible éviter de montrer au pays, qui ne songe qu’à lui-même, et qui en a bien le droit dans l’affreux abîme où l’imprévoyance l’a plongé. Si donc de cet incident récent comme de bien d’autres il se dégage un enseignement clair et impérieux, c’est que le moment n’est pas venu de remuer toutes ces questions qui divisent, qui ravivent tous les dissentimens et les incertitudes, c’est qu’il faut plus que jamais s’en tenir à cette trêve, à ce pacte de Bordeaux dont M. Thiers montrait l’autre jour avec une si merveilleuse éloquence la salutaire efficacité, la bienfaisante influence, et, pour que le pacte de Bordeaux ait tout son effet, il faut qu’il soit maintenu avec une entière sincérité.

Évidemment M. Thiers avait raison de s’obstiner à ne rien préjuger, de se refuser à dire un seul mot de la possibilité éventuelle d’une restauration monarchique. Ce n’est pas son affaire, à lui, qui a été constitué le gardien de la trêve des opinions et de la paix publique. La monarchie viendra à son heure, si elle doit venir, si elle est encore une fois dans la logique des choses, dans le vœu du pays, et si les monarchistes ne la compromettent pas d’avance ; mais, qu’on y prenne bien garde, cette impatience que montrent par instans des esprits sans réflexion pourrait bien naître d’un sentiment assez équivoque qui ne serait pas précisément une garantie pour la royauté nouvelle. Cela ressemble tout à fait à la recherche fiévreuse et enfantine d’un sauveur. On dirait qu’on a besoin d’un roi pour lui remettre le soin de sa propre destinée, pour se dispenser d’agir par soi-même. Ce n’est pas ainsi, on en conviendra, ce n’est pas sous l’influence de tels sentimens qu’une monarchie pourrait revenir bien utilement pour le pays. Il faut savoir