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république, que vous avez provisoirement acceptée par raison et par nécessité ? Ayez donc patience, laissez le pays se relever, se reconnaître, et si, comme vous le dites, si, comme cela est peut-être vrai, le pays est avec vous, il saura bien imposer à tous sa volonté par l’irrésistible puissance de ses manifestations. — Aux républicains, le chef du pouvoir exécutif a dit d’un autre côté : Soyez sages, ne renouvelez pas les exemples du passé. La république existe de fait, que voulez-vous de plus pour le moment ? Ayez le bon sens de vous résigner à la voir conduite par d’autres que par des républicains, lesquels l’ont toujours perdue. Une grande expérience se fait en ce moment ; si elle réussit, elle profitera sans nul doute à votre institution préférée, et je peux vous promettre que moi qui suis un vieux monarchiste, « au risque de servir la république, je gouvernerai le moins mal que je pourrai. » L’expérience sera faite loyalement, sincèrement, de façon à éclairer tout le monde. — À tous, M. Thiers a de nouveau donné rendez-vous sur le terrain de la paix et de l’union ; il a montré la réorganisation du pays à poursuivre, les plaies de toute sorte à guérir, l’évacuation au territoire à obtenir pour le soulagement et pour la dignité de la France. Nous ne savons si dans ces jours de crise il a pu se trouver quelque esprit assez malavisé ou assez imprévoyant pour désirer une rupture de M. Thiers avec la majorité de l’assemblée, ou pour espérer que le chef du pouvoir exécutif sortirait tout au moins affaibli et blessé de ce fourré épineux d’explications parlementaires. Ce qui est bien évident aujourd’hui, c’est que M. Thiers est allé jusqu’au bout, qu’il n’a reculé devant rien, et qu’au lieu de laisser une parcelle de son ascendant et de son autorité au courant de ces discussions délicates, il en est sorti au contraire fortifié, affermi, ayant justifié une fois de plus ce rôle de conseiller public, de guide supérieur que les circonstances ont conféré à sa vigoureuse vieillesse. M. Thiers s’est montré le leader non d’un parti, mais de la France, et en paraissant se rendre à une nécessité, en ayant l’air de se résigner à une mesure qu’il n’avait pas approuvée d’abord, il lui a donné par le fait la sanction de sa prudence. Il a mis son patriotisme à maintenir l’union des partis, en même temps qu’il a cru de son devoir d’avertir le pays de la gravité de sa situation.

Tout est bien qui finit bien. Cet incident de l’admission de M. le duc d’Aumale et de M. le prince de Joinville s’est terminé heureusement après avoir commencé à la façon d’une crise. Il n’y a point de rupture entre la majorité parlementaire et le pouvoir exécutif. Les princes, eux-mêmes, avec un patriotique bon sens, ont aidé au dénoûment en s’engageant à ne point paraître à l’assemblée, à s’abstenir de toute démarche compromettante, et ils sont allés à Versailles voir M. Thiers, reconnaître en lui le représentant légitime de la France. Tout est donc pour le mieux dans le moins heureux des pays et dans le monde le plus troublé. Il ne