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l’une à l’autre par la génération deux « âmes, » deux essences purement spirituelles, est une sorte de non-sens métaphysique, tandis qu’elle est toute naturelle, appliquée aux traits profonds du cerveau comme à ceux de la physionomie. Bibles biologistes veulent voir dans cette modification transmise la source même de la ressemblance dans les aptitudes et les facultés de deux générations, les partisans d’une opinion contraire ne seront pas non plus à court d’explications. Comme l’instrument sous l’archet d’un maître, le cerveau, exercé peu à peu, rend davantage, il devient plus souple, plus vibrant sous certaines notes. Ces qualités, toutes matérielles, sont celles qui se transmettent, et l’instrument reparaît à la génération suivante plus propre à rendre le même son, manié par une intelligence invariablement égale à elle-même chez tous les hommes. S’il est vrai que le cerveau, comme les autres organes, puisse être de la sorte modifié par l’exercice habituel d’une faculté ou d’une aptitude, et que ses modifications soient héréditaires, on peut par ces deux seuls faits expliquer l’instinct[1].


V.

On a déjà remarqué combien la théorie de ces transformations successives des contacts extérieurs en sensations inconscientes, de celles-ci en perceptions, et ainsi de suite en idée, en volonté, jusqu’à la mise en action de nos muscles, combien cette théorie est en harmonie avec les découvertes physiques récentes sur la transformation des forces. Pour peu qu’on prête quelque attention à cet enchaînement physiologique, il y a ici plus qu’une simple analogie. Aux deux extrémités du circuit parcouru par l’influx nerveux, nous trouvons le monde extérieur. Revenons à l’exemple du supplicié, toujours bon, parce que là les choses se présentent avec une grande simplicité relative. Sa main est étendue immobile sur la table : on approche vivement un fer rouge, elle se retire, elle fait un mouvement où l’on peut voir l’équivalent mécanique du calorique dégagé par le métal. Toutefois la transformation n’est pas directe, elle a passé par deux actes nerveux au moins dans la moelle. Le calorique dégagé est devenu d’abord sensation inconsciente, puis, excitation motrice, puis mouvement. La transformation, immédiate dans le monde matériel, est donc médiate à travers l’organisme ; mais elle n’en est pas moins réelle. Les actes nerveux ne seraient en définitive que des transformations d’une nature particulière, des forces du monde physique. Il s’en faut que le problème se pose aussi simplement que nous le montrons ici ; cependant il semble que la solution ne

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mai 1869, le Spiritualisme dans la science, par M. Auguste Laugel.