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jour acquiert une nouvelle force. La loi n’interviendrait en aucune façon pour faire exécuter la sentence arbitrale ; mais la sentence serait certainement respectée, et l’on s’y soumettrait.

En tout cas, même si la conciliation n’aboutissait pas immédiatement à un résultat positif, l’opinion publique, ce qui est très important, serait éclairée sur le fond du débat, sur les motifs de chaque partie, sur la valeur des réclamations faites de part et d’autre. Aujourd’hui il est loin d’en être ainsi. Le public ne connaît des pièces du procès que celles qu’il convient aux plaignans de produire, et les documens ainsi publiés peuvent avec raison être soupçonnés de partialité. Lorsqu’un débat surgit entre patrons et ouvriers, certains renseignemens se contredisent, les chiffres donnés par les uns ne s’accordent pas avec ceux que produisent les autres. À consulter tour à tour le dire des deux parties, il semble que chacune d’elles ait incontestablement tous les droits de son côté. Entre ces affirmations opposées, l’opinion reste incertaine, et juge plutôt de parti-pris que d’après des informations précises. Les uns donnent régulièrement raison aux ouvriers, les autres défendent en tout état de cause les patrons. Les esprits impartiaux et modérés ne se prononcent pas, et cherchent en vain la lumière. Comment la trouveraient-ils, puisque les documens publiés émanent directement des parties intéressées, et n’ont subi aucun contrôle, aucune vérification, puisque chacun des plaignans apporte dans le débat ses préjugés, ses intérêts, son amour-propre, ses passions, sans qu’aucun juge compétent puisse démêler par une enquête rigoureuse la stricte vérité des exagérations ?

Dans la voie que nous venons de tracer, les chambres syndicales, au lieu de devenir un danger pour « l’ordre social, présenteraient de sérieux avantages. En s’habituant peu à peu à discuter leurs intérêts professionnels, à juger des chiffres et des faits, les ouvriers n’auraient peut-être plus tant de goût pour les abstractions creuses et les chimériques déclamations. Ils sauraient mieux distinguer la réalité de l’utopie et la raison du sophisme ; ils apprécieraient plus sainement les choses et les hommes. Au lieu de suivre aveuglément le premier charlatan venu qui les mène jusqu’au crime avec quelques phrases sonores sur l’infâme capital, l’odieuse exploitation des travailleurs, etc., ils s’apercevraient bien vite que ce charlatan par ses grands mots n’améliore en rien leur situation, ou même la compromet gravement, et ils chercheraient des guides plus pratiques. Habituées à surveiller de près leurs affaires, groupées en associations particulières qu’unirait une certaine communauté d’intérêts, et dont elles pourraient contrôler les chefs, les classes laborieuses seraient peut-être moins promptes à abdiquer tous leurs