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Parmi ces vœux, il en est un que l’on retrouve constamment soit dans les rapports des délégations ouvrières, soit dans les dépositions des ouvriers aux récentes enquêtes sur les sociétés coopératives et sur les conseils de prud’hommes : les ouvriers demandent avec instance que l’état, en abrogeant l’article 291 du code pénal et la loi de 1834, laisse s’organiser librement, à l’exemple des syndicats des patrons, des chambres syndicales ouvrières. Les syndicats ouvriers seraient élus par tous les membres d’une même profession. Ils auraient pour mission de s’occuper de toutes les questions relatives à la profession, et de centraliser les discussions sur ces questions : les débats avec les patrons relatifs aux salaires et aux conditions du travail, l’apprentissage, l’instruction professionnelle, seraient du ressort de ces chambres.

Les ouvriers jouiraient ainsi des bénéfices d’une organisation qui leur manque : les syndicats tiendraient la main-d’œuvre au courant de l’offre et de la demande. Ils sauraient exactement les centres où les bras manquent, et pourraient y envoyer des ouvriers en diminuant du même coup le nombre des travailleurs dans une région où l’offre serait trop abondante. Ils éclaireraient l’ouvrier sur ses intérêts, l’aideraient à les défendre, et lui donneraient cette force de l’association régulière et pacifique dont les lois l’ont jusqu’ici privé.

Comme réponse aux réclamations des ouvriers sur ce sujet, dans son rapport du 30 mars 1868, le ministre des travaux publics d’alors, M. Forcade de La Roquette, annonçait que l’administration, sans proposer la suppression de l’article 291, laisserait se fonder librement les chambres syndicales ouvrières. « L’administration, disait-il, est restée étrangère à la formation et au développement des chambres syndicales des patrons ; mais il est arrivé souvent que le tribunal de commerce leur a confié la mission de donner leur avis sur des affaires contentieuses, ou de les régler par la voie amiable. Les raisons de justice et d’égalité invoquées par les délégations ouvrières pour former à leur tour des réunions analogues à celles des patrons ont paru dignes de considération, et les ouvriers de plusieurs métiers ont pu se réunir librement pour discuter les conditions de leurs syndicats. En adoptant les mêmes règles pour les ouvriers que pour les patrons, l’administration n’aura pas à intervenir dans la formation-des chambres syndicales. »

Dans les grandes villes, notamment à Paris, les ouvriers, sans attendre l’abrogation de l’article 291, ont profité de ces déclara-