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Il y avait bien des objections à faire à ce projet. La plupart des conditions qui ont assuré le succès des conseils anglais ne s’y retrouvaient pas. D’abord le remède arrivait trop tard. Ce n’est pas le désaccord une fois survenu, c’est avant tout dissentiment grave que le conseil de conciliation doit être institué. On l’a bien fait remarquer dans l’enquête anglaise. Le principal mérite des conseils de MM. Mundella et Rupert Kettle est de prévenir le mal, non de tenter de le guérir une fois déclaré ; lorsque le conflit s’est produit, il n’est plus temps de nommer d’une façon équitable le tribunal d’arbitrage. Des deux côtés, les questions d’amour-propre sont soulevées, les esprits sont en effervescence. Les arbitres qu’on choisit doivent accepter une sorte de mandat impératif, qui est de soutenir les prétentions de ceux qui les ont élus ; sinon, on ne les choisit pas. Les délégués ainsi nommés s’abordent avec des dispositions réciproques peu bienveillantes, et la tentative de conciliation, faite pour la forme, sera stérile. D’ailleurs l’exemple des grèves récentes l’a bien prouvé. Dans presque toutes, on ai agi comme si l’on avait voulu se conformer au projet de la commission. Patrons et ouvriers ont nommé des délégués qui ont essayé de s’entendre ; mais dès les premières conférences la discussion s’est transformée en un échange peu édifiant d’observations acerbes, de violentes récriminations, et l’on s’est séparé sans avoir obtenu aucune transaction.

Faudrait-il recourir au conseil des prud’hommes, ou à ce conseil mixte proposé par la commission, qui devrait être désigné par le président du tribunal de commerce ? Le dernier aurait le grave défaut de pouvoir être accusé de partialité par les ouvrière. En effet, le président du tribunal de commerce est généralement un patron ou un ancien patron, et de plus il est nommé par les notables commerçans, qui sont des patrons. Ce n’est donc pas à lui que devrait être confié le choix d’une commission mixte composée de patrons et d’ouvriers, car ceux-ci auraient le droit de réclamer contre le mode de nomination de la commission, qu’ils supposeraient toujours plus favorable aux patrons, et ils pourraient par conséquent en récuser la sentence.

Le conseil des prud’hommes, par son origine élective, serait plus propre à se constituer en conseil d’arbitrage impartial pour les deux camps ; mais, quand on entre dans la détail de l’organisation actuelle de ce tribunal, on est bien vite convaincu que les fonctions habituelles de ces juges, qui prononcent presque toujours sur des questions de mal-façon, ou qui tranchent des « petits différends » individuels entre les patrons et les ouvriers[1] sans vouloir en-

  1. Voyez la loi du 18 mars 1806.