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pénibles. D’autre part, le capital a été sérieusement atteint. Comment augmenter les anciens salaires, ou même laisser partout le prix de la main-d’œuvre au taux des années précédentes ? Il serait puéril de ne pas prévoir dès à présent pour un avenir plus ou moins prochain des germes de conflit qui, en se développant, nous ramèneraient à de terribles grèves. Est-il possible, par des moyens sagement étudiés, d’empêcher le mal de prendre des proportions redoutables ?

Les questions sociales veulent être non tranchées, mais lentement dénouées. Ceux qui en connaissent les difficultés savent qu’on ne peut les résoudre par des moyens radicaux et infaillibles ; mais ils savent aussi que, sans bouleverser le monde, il est possible de l’améliorer. Des réformes souvent peu importantes en apparence sont les plus efficaces dans l’application, les systèmes les moins prétentieux produisent les meilleurs résultats. C’est en restant fidèle à ce principe que dans un pays voisin on a déjà tenté de résoudre la question des grèves. Les succès obtenus en Angleterre par certains essais pratiques nous paraissent dignes d’être signalés à nos compatriotes. Le fait a prononcé de l’autre côté du détroit en faveur du système que nous allons décrire : espérons que cet heureux résultat nous encouragera à tenter l’application des remèdes qui ont réussi à nos voisins.


I.

En Angleterre, la concentration des classes ouvrières dans certains comtés, leur forte organisation en trades-unions ou sociétés de résistance, et les ligues puissantes des patrons, avaient donné aux conflits industriels un caractère de durée et d’intensité encore inconnu chez nous. Effrayés de la gravité d’un fléau contre lequel ni les lois restrictives du droit de coalition, ni la répression judiciaire n’avaient été efficaces, les Anglais ont fait depuis quelques années une étude approfondie des causes du mal. Suivant leur habitude, ils ont eu recours, pour porter la lumière dans ces faits douloureux, à une vaste enquête parlementaire. Des crimes abominables commis à Sheffield et à Manchester en 1867 par les membres de quelques unions ouvrières en ont été l’occasion. La commission, après avoir examiné avec soin l’organisation des sociétés de résistance, soumit au parlement des dispositions législatives pour faire rentrer ces sociétés dans le domaine de la loi, dont elles étaient exclues jusque-là, et proposa divers systèmes propres à remédier aux grèves, ou encore mieux, à les prévenir.

Parmi les personnes consultées par la commission sur ce dernier