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ombrage ; au contraire, la servilité des Grecs les rassurait : il n’y avait vraiment rien à craindre d’un pays si empressé à flatter ses maîtres.

Du reste les Romains eux-mêmes ne répugnaient pas à croire à l’apothéose. Leurs traditions nationales, comme celles de tous les peuples, mettaient dans le ciel leurs anciens rois. Sous le nom de dieux indigêtes, ils adoraient Picus, Faunus, Latinus, qui avaient régné, disait-on, sur le Latium, et il n’y avait pas de divinités qu’on invoquât avec plus de ferveur dans tous les malheurs de la patrie. On racontait que le fondateur de la ville, Romulus, avait disparu pendant un orage, qu’un sénateur l’avait vu de ses yeux monter au ciel, où il siégeait parmi les dieux de la fécondité et de la vie. Il est pourtant remarquable que cette légende, malgré la vanité nationale qui faisait un devoir de l’accepter, ne semble inspirer même aux plus vieux historiens qu’une confiance médiocre. Ils ne la rappellent jamais sans des explications ou des excuses qui trahissent quelque embarras, et leur embarras paraît assez naturel quand on songe à la manière dont ils se représentent ces âges reculés. Des événemens si merveilleux ne se comprennent que si on leur donne pour théâtre des époques légendaires, et la prétention de ces annalistes est au contraire de supprimer les temps fabuleux, de placer les premières années de Rome dans la pleine lumière de l’histoire. Aussi remarque-t-on que cette habitude de diviniser les héros primitifs et les anciens chefs, quoiqu’elle fût répandue dans tous les pays, et que Cicéron la trouve sage et utile, n’a jamais obtenu beaucoup de succès à Rome. Ni Numa, ni Brutus, ni Camille, ne reçurent les honneurs divins, et depuis Romulus on ne rencontre dans l’histoire romaine que quelques essais mal réussis d’apothéose. Il y avait pourtant chez les anciens peuples de l’Italie une croyance profondément enracinée qui devait les familiariser avec l’idée qu’un homme peut devenir un dieu, et qui fut un des fondemens sur lesquels s’appuya plus tard l’apothéose impérial ; Ils éprouvaient une répugnance invincible à croire que la mort anéantit tout à fait l’existence ; ils pensaient que, même quand la vie paraît éteinte, elle se prolonge obscurément dans le tombeau ou ailleurs, et, comme une triste expérience de tous les jours leur apprenait que le corps se décompose et disparaît, ils admettaient qu’il doit y avoir autre chose que le corps dans l’homme, qu’il contient nécessairement un élément qui persiste à côté de l’élément qui s’éteint, et ils étaient amenés à conclure que cette partie invisible et immortelle vaut mieux que l’autre, puisqu’elle lui survit. Ces idées, qui semblent communes à toutes les nations aryennes, n’ont peut-être pris nulle part une forme si précise et si arrêtée qu’en Italie. Là, les morts, quand ils sont débarrassés de ce corps qui se corrompt et réduits à