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c’est que le prince était pâle, et qu’il avait dix-neuf ans. Il n’était ni faible, ni chétif. Christine de Pisan nous a laissé de lui ce portrait : — « De corsage étoit hault et bien formé, droit et lé (large) par les épaules, et haingre (étroit) par les flans. Gros bras et beaux membres avoit, si correspondans au corps qu’il convenoit, le visage de beau tour, un peu longuet, grant front et large ; avoit sourcilz en archiez, les yeux de belle forme, bien assis, chasteins en coupleur, arrestés en regart ; haut nez assez, et bouche non trop petite, et tenues lèvres ; assez barbu es toit, et ot un peu les os des joes hauls, le poil ne blond ne noir, la charnure clére brune ; mais la chiere ot assez pale, et croy que ce, et ce qu’il étoit moult maigre, lui étoit venu par accident de maladie, et non de condicion propre. » Tout un règne réparateur est dans ce portrait de Charles V. Voilà pour le prince chétif.

Quant à l’insinuation de perfidie odieuse à l’occasion de la scène tragique du château de Rouen, le démenti sera donné par Froissart lui-même. « Le duc de Normandie, dit-il, tenoit son hostel ou châtel de Rouen, et ne savoit rien des rancunes mortelles que le roi son père avoit sur le roy de Navarre, et le comte de Harecourt, et messire Godefroy, son oncle ; mais leur faisoit toute la bonne compagnie qu’il pooit par l’amour et le vicinage. Et avint que il les fit prier par ses chevaliers de venir dîner avec lui. Le roy de Navarre et le comte de Harecourt ne luy volrent mie escondir, mais luy accordèrent liement, » Voilà pour l’invitation, dont le roi Jean fut informé trois jours avant la fête, ce qui lui donna le temps de franchir en un jour et une nuit la distance qui le séparait de Rouen. Froissart témoigne que « le duc de Normandie fust bien émerveillé et ébahi quand il vit le roy de France entrer en la salle. » Enfin, à l’arrestation violente de Charles de Navarre, Froissart affirme que « pour chose que le duc de Normandie dit, qui estoit en genoux et à mains jointes devant le roy son père, cil ne s’en voulut passer ni souffrir. Et disoit le duc, qui lors étoit un jeune enfant ; Ah ! monseigneur, pour Dieu merci ! vous me déshonorez. Que pourra-t-on dire de moi, quand j’avois le roi et les barons prié de dîner de lez moi, et vous les traitez ainsi ! On dira que je les aurai trahis. — Souffrez vous, Charles, répondit le roy, ils sont mauvais traîtres, et leurs fais les découvriront temprement. Vous ne savez pas tout ce que je sais. » La justification est-elle complète ? Il est vrai que le moine passionné de la place Maubert attribue un soupçon malveillant du roi de Navarre. On n’en peut être étonné de la part de ce prince méfiant et perverse mais en présence du loyal témoignage de Froissart, qui s’appuie à celui de la chevalerie tout entière, aucun doute n’est possible.

Il reste le reproche d’avoir donné le signal du sauve-qui-peut à