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sonne n’était plus disposé de bonne volonté pour en donner. Les communes s’étaient épuisées pour fournir l’armée qui venait d’être détruite à Poitiers, et tout expédient financier était interdit au jeune lieutenant du roi prisonnier. Il fallut donc renoncer à l’espoir de conclure immédiatement une paix définitive. Quant aux barons, ils étaient également ruinés. C’est tout au plus s’ils pouvaient obtenir de leurs hommes et vassaux par toute espèce de moyens les deniers nécessaires pour leur rançon particulière. Il y avait bien les Lombards, les banquiers italiens, marchands d’or à gros intérêt ; mais on avait perdu tout crédit auprès d’eux par des lois absurdes. Les Valois étaient d’ailleurs, à tout prendre, une dynastie nouvelle. Leurs compétiteurs répétaient qu’ils avaient infligé au pays des misères inénarrables. Il n’est permis en effet qu’à une vieille dynastie d’affronter de pareilles épreuves. Si le roi Jean n’eût pas été héroïque à Maupertuis, c’en était fait des Valois, et les Plantagenets ou les Navarre eussent régné à leur place. Ces agitations firent échouer les négociations pour la paix. Vainement le roi Jean fut retenu à Bordeaux jusqu’au mois de mars 1357 avec l’espoir d’en finir pacifiquement. Il y fallut renoncer, et la médiation des légats pontificaux se réussit à convertir en une trêve de deux ans[1] le projet de paix définitive qu’ils avaient proposé. Ce fut alors que les Anglais crurent prudent de transporter en Angleterre la personne de leur royal prisonnier, gage trop précieux pour le compromettre à Bordeaux, où la mobilité méridionale, vivement émue par le spectacle de cette grande infortune, pouvait lui ramener le flot des populations de Gascogne. En cela, les Anglais se montrèrent bien avisés, car leur résolution de transporter l’auguste captif au-delà du détroit excita parmi les Gascons une émotion qui fut difficile à calmer, et dont témoigne Villani, aussi bien que Froissart.

La France était donc profondément découragée, sourdement travaillée par l’esprit de faction, et dans sa détresse son moindre malheur n’était pas d’avoir pour unique espérance un prince de dix-neuf ans. Du moins n’y fut-elle pas trompée. Ce prince, l’honneur de notre histoire, et qui fut plus tard Charles le Sage, n’a pas été mieux traité que son père par une certaine école de nos historiens. L’un d’eux, et des plus accrédités, a dit de lui, à propos de son avènement aux affaires au lendemain de Poitiers : « Il n’y avait pas à espérer grand’chose du dauphin. Ce prince était faible, pâle, chétif ; il n’avait que dix-neuf ans. On ne le connaissait que pour avoir invité les amis du roi de Navarre au funeste dîner de Rouen, et donné à la bataille le signal du sauve-qui-peut. » C’est à désespérer de la vérité historique. Une seule chose est vraie dans cette appréciation,

  1. L’instrument est du 23 mars 1357. Voyez Rymer, III, 1, p. 133.