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naturel. L’orateur, moins préoccupé d’obtenir certains effets de style, se donne plus d’air et de carrière, s’anime plus volontiers. Dans le discours, aujourd’hui perdu, où Antiphon disputait sa vie à la haine de ses ennemis vainqueurs, le pathétique tenait sans doute bien moins de place, l’émotion se faisait bien moins sentir que dans le discours d’Andocide sur les mystères.

Andocide, — c’est là l’impression qui nous reste de cette étude, — fut donc un homme de grand talent qui, faute d’un peu plus d’honnêteté et de dignité personnelle, manqua sa vie, ne donna, comme politique et comme orateur, qu’une faible partie de ce qu’Athènes pouvait attendre d’une nature aussi heureusement douée. Il avait, quand il revint à Athènes après quinze ans d’exil, tout ce qu’il faut pour devenir un homme d’état influent et distingué, tout, excepté l’estime publique. Ce qui l’empêcha de saisir un rôle en vue, ou tout au moins de le garder, de prendre cette autorité sur les esprits que possédèrent souvent pendant de longues années des hommes qui lui étaient très inférieurs, ce fut l’espèce de défaveur morale que jetèrent sur son nom les erreurs et les scandales de sa jeunesse. Il eut beau faire, il ne put parvenir à inspirer confiance au peuple. Nous trouvons dans l’histoire de notre temps des exemples analogues. Tel personnage, d’une intelligence peu commune, journaliste fécond et brillant, homme d’affaires consommé, est arrivé de bonne heure à une telle situation de fortune et de notoriété, que toutes les ambitions lui semblaient permises, tous les partis comptaient avec lui, et cherchaient à s’assurer son concours ; mais aucun parti, une fois au pouvoir, n’osait lui en donner une part avouée et publique. Très supérieur par l’esprit à la plupart de ceux qui occupaient les premières places, il n’a jamais pu devenir ministre. C’est qu’il avait pu tout conquérir, excepté la considération.

En tout cas, Andocide, comme écrivain, mérite de ne point être aussi oublié et sacrifié qu’il l’a été jusqu’ici ; il doit avoir sa page et sa place dans l’histoire de la prose attique. C’est lui qui forme le lien, le passage entre les anciens Attiques, tels que Périclès, Antiphon, Thucydide, et les orateurs ou écrivains du ive siècle. S’il ne nous était rien arrivé de ses ouvrages, il y aurait un anneau de la chaîne qui nous manquerait. Nous constatons, en étudiant ses discours, le résultat et le fruit d’un demi-siècle de travail intellectuel et de libre vie politique ; nous voyons ce qu’ont produit, d’une part l’enseignement des sophistes et des rhéteurs, de l’autre l’habitude chaque jour plus répandue de la parole publique. Depuis la mort de Périclès, les orateurs se sont multipliés comme pour se partager la succession de ce grand homme, que personne n’était capable de remplacer. Il s’est formé tout un nouveau groupe ; des jeunes gens, intelligens et ambitieux, ont profité avec ardeur, pour se produire