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ou d’un banquier. Sous le langage et le costume du médecin, de l’avocat, du professeur, l’homme d’affaires sommeille, prêt à se réveiller dès que les circonstances l’exigeront. Ce fut à Chypre qu’il alla tout d’abord. Par quelles offres et quels services mérita-t-il les bonnes grâces d’un de ces petits princes, moitié orientaux, moitié hellènes, qui aimaient à voir auprès d’eux des Grecs de quelque renom, artistes, poètes, orateurs ? À en croire ses ennemis, rien de moins honorable que l’origine de cette faveur. Andocide aurait fait venir d’Athènes, sans doute sous quelque prétexte spécieux, une de ses cousines, belle et jeune Athénienne de condition libre, et il l’aurait livrée au roi de Citium : il l’aurait fait entrer dans son gynécée ou harem. Peu après, Andocide se serait effrayé des conséquences que pourrait avoir pour lui ce détournement ; il aurait craint que l’on n’en parlât à Athènes, où il désirait et espérait toujours retourner. Il aurait donc essayé de retirer des mains du prince la jeune fille qu’il lui avait vendue ; mais ses projets auraient été découverts, et, devenu l’objet de la colère du despote, jeté dans les fers, il aurait risqué de périr par un de ces horribles supplices dont l’Orient a conservé la tradition. Ce fut sans doute avec de l’argent qu’il sauva sa tête. À Ecbatane ou à Suse, comme à Téhéran ou à Constantinople, auprès des satrapes perses comme des pachas turcs, jamais homme habile ne s’est trouvé en si mauvais pas, qu’en ouvrant sa bourse à propos il ne se soit tiré d’embarras.

Nous retrouvons ensuite Andocide à Samos, où était alors la dernière armée qui restât encore à Athènes, épuisée par ses désastres de Sicile. Andocide possédait à Chypre des terres fertiles, don de son prince ; il avait noué des relations commerciales dans cette île et dans les îles voisines, il pouvait aider les généraux athéniens à compléter leurs approvisionnerons fort insuffisans. C’était l’occasion de se conduire en patriote, tout en ne négligeant pas ses affaires. Andocide vendit à la flotte du cuivre, du blé et des rames. Ce dernier article, il aura soin de le rappeler à ses juges, il le fournit au prix coûtant. Se rattrapa-t-il sur le cuivre et le blé ? Il n’en dit rien ; mais telle était son envie de revoir Athènes, qu’il oublia peut-être de prélever sa commission sur ces fournitures. Quand il crut, par son désintéressement, avoir prévenu à Samos les esprits en sa faveur, il partit pour Athènes. Quelque tempête, comme cela arrive souvent dans l’Archipel, le força-t-elle à faire plusieurs escales et à passer un mois en route ? Toujours est-il que, lorsqu’il arriva, il eut une surprise désagréable. La ville était au pouvoir de l’oligarchie des quatre-cents ; l’armée à Samos tenait pour la démocratie : il y avait rupture ouverte entre la cité et l’armée. Andocide se présentait au sénat comme le bienfaiteur de l’armée. Pour un habile, c’était manquer d’à-propos. On devine comment il fut accueilli. Pisandre,