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nemens déjà lointains, qu’une version arrangée à loisir, et où l’on peut soupçonner plus d’une inexactitude, ou tout au moins plus d’une réticence. Thucydide, qui fait très clairement allusion à Andocide sans le nommer, semble dire qu’alors Andocide se comprit lui-même parmi les mutilateurs des hermès[1]. Ses ennemis, on le voit par quelques mots qui lui échappent et par un discours attribué à Lysias, lui reprochaient d’avoir dénoncé plusieurs de ses plus proches parens, tandis que d’après son récit il n’aurait parlé que sur leur demande et pour les sauver.

Quoi qu’il en soit de ces contradictions, ce qui est incontestable, c’est l’effet que produisirent sur les âmes les révélations d’Andocide. On était las de l’anxiété et de l’incertitude où l’on vivait depuis de longues semaines. Andocide n’était point, comme les dénonciateurs précédens, un étranger ou un esclave ; c’était un jeune homme riche, de grande naissance, qui s’était déjà fait remarquer par son instruction et ses talens. Son récit était spécieux, et ce qui paraissait le rendre encore plus digne de foi, c’est qu’il s’accusait presque lui-même. Il y eut un sentiment de satisfaction générale ; les nerfs, tendus outre mesure, se relâchèrent, les imaginations affolées se calmèrent. On savait enfin ce qu’il y avait au fond de ce mystère redoutable ; armures et lances furent déposées, et chacun rentra dans sa maison. Les craintifs, qui avaient fui de peur d’être compromis, revinrent à Athènes. Les inculpés qui étaient en prison, hors ceux dont Andocide avait prononcé le nom, furent mis en liberté. Quant à ceux qu’il avait dénoncés, les uns, que l’on tenait sous les verrous, furent traduits en justice, condamnés et exécutés ; d’autres, qui avaient eu le temps de quitter la ville, furent jugés par défaut et leurs têtes mises à prix. Ces victimes avaient-elles toutes mérité leur sort ? Nul qu’Andocide lui-même ne saurait le dire, et son caractère ne nous est pas un sûr garant de sa véracité. Les réserves de Thucydide témoignent des doutes qu’avait conservés à ce sujet plus d’un esprit sérieux. « Ces renseignemens, dit-il, étaient-ils vrais, étaient-ils faux ? Là-dessus, les conjectures sont partagées ; mais ni alors, ni plus tard, personne n’a rien pu affirmer de certain sur les vrais auteurs de cette profanation. » Et un peu plus loin : « On ignore si ceux qui furent mis à mort furent punis injustement ; mais toute la ville dans cette circonstance éprouva un soulagement manifeste. »

À la masse, à tous ces esprits superficiels et crédules qui se contentent des apparences, il n’en fallait pas davantage. Le peuple se

  1. VI, 60. …"Alors un des prisonniers, celui qui paraissait le plus coupable, fut engagé par l’un de ses compagnons de captivité à donner des renseignemens vrais on faux… Il s’accusa lui-même, et il en accusa d’autres avec lui, de la mutilation des hermès. »