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de là le long de la côte italienne jusqu’en Sicile, un peu embarrassés pour obtenir des résultats qui fussent en rapport avec la grandeur des moyens d’action qui leur avaient été confiés. C’est à Athènes que nous retient Andocide. Là, dès le lendemain de la grande journée remplie par le départ de la flotte athénienne, l’opinion avait recommencé à se préoccuper non moins vivement que la veille des sacrilèges encore impunis. Par cela même qu’elle avait engagé dans une aventureuse et lointaine expédition la fleur de sa jeunesse, Athènes avait livré aux dieux des otages qu’il s’agissait de sauver en apaisant le plus tôt possible leur colère. Les ennemis d’Alcibiade n’étaient pas gens d’ailleurs à laisser ces alarmes se calmer qu’ils n’eussent atteint leur but. On offrit donc de nouvelles primes aux dénonciateurs ; une d’elles fut même portée jusqu’à la somme de 10,000 drachmes. Un métèque nommé Teucros s’était sauvé à Mégare aussitôt après l’événement ; il en revint, assuré de l’impunité par un vote du sénat. Il désigna onze personnes, dont lui-même, comme ayant pris part à une parodie des mystères, et dix-huit autres, parmi lesquelles il ne se comptait pas, comme ayant mutilé les hermès. Une femme de haute naissance, Agariste, raconta qu’Alcibiade, Axiochos et Adimantos avaient de même parodié les cérémonies éleusiniennes chez Charmidès. Un esclave, Lydos, fit une déposition analogue ; un de ceux qui, selon lui, auraient assisté à cette sacrilège bouffonnerie était Léogoras, le père d’Andocide. Seulement « Léogoras, ajoutait-il, était endormi à ce moment, et n’avait pu se rendre compte de ce qui se passait dans la salle du festin. » Des malheureux ainsi désignés, beaucoup avaient fui tout d’abord ; la plupart avaient été saisis et mis aux fers. Lors des Panathénées, les récompenses promises furent décernées. Le premier dénonciateur, l’esclave Andromachos, eut les 10,000 drachmes ; Teucros en toucha 1,000. Pourtant la conscience publique n’était pas encore en repos. Tous ces témoignages, excepté celui d’Agariste, provenaient de gens de condition inférieure ; tous restaient incomplets et obscurs. La prison regorgeait de citoyens dont beaucoup appartenaient aux premières familles de la ville.

On en avait assez appris pour être sûr que la cité était remplie de contempteurs des dieux ; on n’en savait pas assez pour se dire : « Les coupables, nous les tenons tous, nous allons les punir, et nous serons réconciliés avec le ciel. » Chacun soupçonnait son voisin ; personne ne se croyait à l’abri d’un faux témoignage, tant le peuple, dans l’espèce de terreur et de folie religieuse où l’avaient jeté tous ces récits, était prêt à emprisonner, à faire périr même n’importe qui sur une parole, sur un simple soupçon. Un jour le héraut convoqua le sénat ; il s’agissait d’entendre encore une dénonciation : la foule qui remplissait le marché s’enfuit en tout sens. Qui ces