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qui était certain, c’est que l’on avait tout à craindre de ceux qui venaient de manifester ainsi leur existence et leur détestable entente.

L’obscurité qui enveloppait le premier jour toute cette affaire des hermès ne se dissipa jamais complètement ; il y a dans l’histoire peu d’exemples d’événemens sur lesquels le temps, ce grand révélateur, ait jeté moins de clartés. Thucydide lui-même, ce pénétrant investigateur, ne paraît point être, arrivé à savoir toute la vérité. Ce qui, d’après certains témoignages et certains indices, est vraisemblable, c’est que les conspirateurs avaient en vue l’une de ces deux choses : ou perdre Alcibiade, qui occupait alors dans la cité une situation prépondérante, ou empêcher le départ de l’expédition. Probablement même ces deux résultats étaient dans leur pensée inséparables l’un de l’autre. Jamais homme n’eut plus de jaloux et d’ennemis que le brillant et insolent fils de Clinias ; ses rivaux le haïssaient assez pour ne reculer devant aucun moyen de le perdre sans retour. Il fallait l’empêcher de trouver dans cette entreprise, qu’il était capable de mener à bonne fin, une occasion d’élever encore plus haut son crédit et sa gloire. Syracuse, Corinthe, Mégare, étaient intéressées à faire échouer l’attaque dont était menacée la Sicile : c’est ce qui expliquerait le rôle joué dans le complot par quelques métèques ou étrangers domiciliés, enfans de l’une de ces cités ou gagnés à leurs intérêts. C’était à son corps défendant, on le savait, que l’homme le plus respecté d’Athènes. Nicias, avait été nommé l’un des trois généraux ; avec sa dévotion et son caractère timoré, ne serait-il point assez frappé de ce sinistre événement pour refuser de partir et faire ainsi tout manquer ? Si ces conspirateurs avaient pu s’entendre et agir un peu plus tôt, ils auraient certainement réussi à retarder l’expédition, et peut-être à en dégoûter Athènes. Ils lui auraient ainsi rendu sans le vouloir un inappréciable service ; mais les préparatifs étaient déjà, bien avancés, déjà les forces des alliés d’Athènes étaient en route pour Corcyre, aujourd’hui Corfou, et les hoplites de Mantinée et d’Argos arrivaient pour s’embarquer au Pirée. On ne réussit donc qu’à moitié, et ceux-là seuls des conjurés purent être satisfaits qui tenaient surtout à compromettre et à chasser Alcibiade. Or ce demi-succès de la conspiration, c’était, à ce moment ce qui pouvait arriver de plus funeste à Athènes.

Quoi qu’il dût advenir, la première pensée, le premier besoin des Athéniens, c’était de se réconcilier avec les dieux en recherchant et punissant les coupables. L’assemblée se réunit. Le conseil ou sénat des cinq-cents reçut de pleins pouvoirs pour ouvrir une vaste enquête, dont la direction fut confiée à des commissaires spéciaux. Citoyens, métèques, esclaves, étaient invités à dénoncer tous les