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vait se défendre d’une soupçonneuse malveillance à l’endroit des sophistes, des rhéteurs et de ceux qui les fréquentaient. Tous ces raffinés exposaient des doctrines dont la foule s’alarmait d’autant plus, qu’elle n’en atteignait pas le fond et n’en savait pas le dernier mot. Exclue de leurs cercles fermés, étrangère à leurs formules, elle devinait pourtant que dans ces entretiens on conspirait tout à la fois contre la vieille religion de la cité et les nouvelles institutions démocratiques. A l’inverse de ce qui s’est vu ailleurs, en France par exemple depuis un siècle, les démocrates étaient ou devaient paraître, pour obtenir la faveur du peuple, plus attachés que personne à la religion de l’état et à ses rites. Ce furent eux qui poursuivirent toujours les philosophes, qui menacèrent ou frappèrent Anaxagore, Diagoras, Socrate, Aristote, Théophraste. Le dernier orateur honnête et indépendant qu’ait eu Athènes, ce Démocharès, neveu de Démosthène, qui paraît avoir été d’ailleurs un homme de cœur, eut le triste honneur de contraindre Aristote à s’enfuir et à s’en aller mourir dans l’exil. Dans les rangs du peuple et de ses chefs préférés, on était donc prévenu contre le groupe auquel appartenaient Andocide et ses amis ; on était inquiet et curieux de ce qui se passait dans ces réunions où, sous prétexte de festins, on restait à boire et à causer toute la nuit sans autres témoins que quelques esclaves discrets. Ces jeunes hommes de haut lignage, dont Alcibiade était le type le plus brillant, se moquaient du peuple, qu’ils flattaient sur le Pnyx, et des dieux, auxquels par vanité ils consacraient de somptueuses offrandes. On se racontait tout bas certains propos malsonnans qui auraient été tenus dans quelques-uns de ces soupers, certaines impiétés que se seraient permises, échauffés par le vin, les convives d’Alcibiade, de Charmidès et de Léogoras. Tout cela n’était encore cependant que des on dit et des bruits vagues, quand un étrange accident vint tout d’un coup donner un corps à toutes ces rumeurs, à tous ces soupçons.

Il y avait à Athènes, distribuées en grande quantité dans la ville, des figures connues sous le nom d’hermès (Έρμαῐ). C’étaient des piliers carrés de pierre ou de marbre à peu près de hauteur d’homme : La partie supérieure seule en était sculptée en buste du dieu Hermès ; la partie inférieure, plus ou moins rudement taillée, parfois presque brute, n’offrait d’autre saillie que les attributs de la virilité représentés sur la face antérieure. Il n’est point aujourd’hui de musée d’antiques qui ne contienne un certain nombre de bustes de cette espèce. À partir de l’époque alexandrine et chez les Romains, ces demi-statues furent très employées pour orner les palais, les bibliothèques, les jardins, les édifices publics et privés ; sur ces mêmes piliers, parfois élargis vers le sommet en forme de gaîne,