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prit démocratique, gardèrent toujours une sorte d’affectueux respect. On sait combien ils étaient attachés à leurs légendes héroïques et religieuses, dont le souvenir était perpétué par la poésie dramatique, par les arts plastiques, par des panégyries ou fêtes religieuses, analogues aux pardons de la Bretagne. Ceux de ces mythes qui avaient le plus de notoriété étaient consacrés par de somptueux édifices, comme les temples d’Athènes, d’Eleusis et de Sunium ; mais il y avait de plus sur tous les points de l’Attique une foule de petits sanctuaires, ou, comme nous dirions, de chapelles, propriétés soit des dêmes ou communes, soit de corporations, soit de familles, où se célébraient des cultes locaux. Chacun de ces cultes rappelait quelque légende particulière, chapitre détaché de cette histoire mythique si riche et si variée qu’aucune frontière nettement tracée ne sépara jamais pour les anciens de l’histoire proprement dite. En vertu d’une tradition dont l’origine se perdait dans la nuit des temps, certaines familles exerçaient des sacerdoces héréditaires, avaient un rôle qui leur était assigné pour toujours dans les plus augustes cérémonies du culte national : les Eumolpides fournissaient le grand-prêtre de Déméter et d’Iacchos, celui qui portait le titre de hiérophante, un Callias ou un Hipponicos (les deux noms alternaient de père en fils dans cette maison) était dadouchos ou porte-flambeau ; de la race (γένος) des Céryces, on tirait les hérauts dont la voix parlait aux initiés dans les mystères. Les Andocides formaient une branche de ce vieux clan sacerdotal qui faisait remonter sa généalogie jusqu’à Triptolème, Ulysse et Hermès. Au temps de Périclès, les Athéniens poursuivaient sur le Pnyx et dans les tribunaux un certain-idéal d’égalité absolue et de démocratie pure : ils établissaient à cet effet le tirage au sort des magistrats et des juges. Or ces mêmes hommes, quand ils suivaient des yeux, dans le pompeux spectacle et les scènes dramatiques des grands mystères d’Eleusis, les Eupatrides ou nobles, revêtus des robes sacrées, croyaient voir se dresser devant eux la vivante image de cette Athènes d’autrefois que les dieux et les déesses avaient si souvent honorée de leur présence. C’était à peu près ce qu’éprouve encore aujourd’hui l’Anglais le plus libéral, le plus ouvert, le plus moderne d’esprit, quand il regarde passer dans les rues de Londres le cortège gothique de la reine, qui se rend à Westminster, précédée des hérauts d’armes, pour ouvrir la session du parlement. La France nouvelle est peut-être, de tous les grands peuples qui jouent un rôle sur la scène de l’histoire, le seul chez qui les révolutions aient tellement brisé en menus fragmens, au lieu de se borner à la relâcher et à la détendre, la chaîne de la tradition, que le présent ne peut plus réussir à s’y rattacher au passé ; nous n’y trouvons