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Le gouvernement s’était préoccupé depuis longtemps des réformes qui pouvaient rendre meilleure encore une situation déjà excellente. Le morcellement de la propriété, qui a été longtemps pour le cultivateur une cause d’activité, est devenu aujourd’hui un danger. On a reconnu qu’il fallait encourager les échanges qui permettent à un propriétaire de substituer à une série de parcelles isolées un vaste terrain continu, et favorisent la grande culture. Ici l’exemple de la Saxe nous a servi ; la loi du 27 juillet 1870, qui renouvelle du reste, — l’Allemagne ne doit pas l’oublier, — plusieurs dispositions d’une loi de 1824, a rendu ces échanges et ces réunions faciles. Les banques agricoles pour suppléer à l’insuffisance du crédit foncier, la substitution du gouvernement aux syndicats pour les prises d’eau et les irrigations, étaient des questions à l’étude au moment où la guerre a éclaté. Si l’Allemagne s’en occupe, nous y songions aussi, et nous en savions toute l’importance. L’agriculture alsacienne ne souffrait qu’en un point, les vignobles qui occupent une grande partie de la province. Le débouché naturel des vins des Vosges est l’Allemagne ; ils n’ont que peu de succès en France, tandis qu’on les estime beaucoup au-delà du Rhin ; depuis l’établissement des voies ferrées, ils trouvaient dans les crus de la Bourgogne et du midi une concurrence qui leur nuisait beaucoup. Le droit mis à la frontière sur tous nos vins équivalait pour ceux d’Alsace, dont le prix ne peut être élevé parce qu’ils sont de qualité moyenne, à une véritable prohibition. C’était là un inconvénient sérieux dont nous devions nous préoccuper lors de la révision du traité avec le Zollverein.

L’Alsace est un des pays de l’Europe les plus favorables à la culture du tabac. On sait que presque tous les tabacs français sont fournis par neuf départemens. En 1868, le Bas-Rhin a donné 9 024 000 kilogrammes de tabac, et le Haut-Rhin 700 000 kilogr. L’Alsace fournit à elle seule environ 1/13 des tabacs récoltés sur notre continent, et 1/26 de la production totale de l’Europe et de l’Amérique. La récolte des tabacs dans le Zollverein est à la récolte française comme 1 est à 17. Il en résulte que l’Allemagne doit tirer presque tous les tabacs dont elle se sert des États-Unis, de Cuba, de la Havane et de Porto-Rico. L’importation est d’autant plus considérable en Allemagne, que l’usage de fumer s’y trouve beaucoup plus répandu qu’en France. D’après une statistique faite en 1861, on fume en Prusse, toute proportion gardée, deux fois plus qu’en France, en Hanovre trois fois plus. Il semble tout naturel de croire que la libre culture que va introduire la loi allemande sera plus favorable que l’administration française à cette partie si importante de la production alsacienne, et c’est là un des points sur lesquels on insiste le plus dans les brochures répandues dans les campagnes.