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cessaire, les Allemands trouvent en eux le désir de leur propre estime, la nécessité d’accorder les exigences instinctives de leurs passions et la justice. Ils se sont mis à l’œuvre ; ils se sont démontré à eux-mêmes que cette réunion tant souhaitée était l’acte le plus nécessaire dans l’intérêt des frontières allemandes au point de vue du droit, au point de vue de l’histoire, et aussi parce que seul il pouvait faire le bonheur de l’Alsace. Pour soutenir de pareilles thèses, ils oublient la réalité la plus simple, ils font violence au passé, à la vérité des faits contemporains et au bon sens.

II.

La propagande allemande traite des questions générales et des questions particulières. On devine facilement ce qu’elle dit du caractère français. Sur ce sujet, le professeur Théodore Mommsen a donné le ton : ses pamphlets ont indigné les uns et fait sourire les autres. M. Geffroy, en les appréciant ici même[1], a montré combien l’historien allemand, malgré ses nombreux séjours en France et l’accueil cordial qu’il avait trouvé chez nous, a peu cherché à nous connaître. Sur ces questions générales, il est peu facile de convaincre nos adversaires ; il faudrait leur répondre par des argumens qu’ils n’accepteraient pas : quand il s’agit simplement d’opinion, de principe, d’appréciation morale, la discussion avec eux risque d’être sans fin. Peut-être est-il plus facile de choisir dans cette propagande les attaques auxquelles on peut opposer des chiffres, des données statistiques, des faits d’histoire aujourd’hui hors de doute. Ce sont là du reste les attaques auxquelles la Prusse attache le plus d’importance : on ne peut se figurer le nombre de brochures à deux ou trois silbergroschen qu’elle répand dans les campagnes, — l’Alsace en est remplie, — l’insistance avec laquelle les moindres feuilles répètent tous les jours les mêmes accusations. L’Allemagne sait qu’il faut du temps pour convaincre le paysan alsacien ; elle n’épargnera pas ses efforts : rien n’est au-dessus de sa patience. Si M. de Löher[2], M. Wagner et tous les écrivains dont les ouvrages se voient par vingtaines aux étalages des libraires, s’adressent au public lettré, les auteurs anonymes qui ont pris à tâche la conversion des campagnes ont une mission plus difficile et moins glorieuse, mais non moins utile. Ils forment une véritable landwehr intellectuelle, aussi bien disciplinée, aussi laborieuse que l’armée allemande. Ils citent des chiffres, font des dissertations sur les prairies, le tabac, les irrigations, la loi des échanges parcellaires, mêlent à leur statistique

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1870.
  2. Aus Natur und Geschichte von Elsass-Lothringen, la nature et l’histoire en Alsace et en Lorraine.