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LA PROPAGANDE PRUSSIENNE EN ALSACE.

de se présenter escorté de soldats allemands chez les ouvriers de la compagnie ; il vainquit leurs refus le pistolet au poing. Ce n’est là qu’une mauvaise action ; mais ce qui est grave, c’est que le coupable croit qu’il a bien agi, et qu’il s’étonne que de pareils procédés le privent de sa place après la paix. Les faits de ce genre sont nombreux ; ce qu’il faut y remarquer, c’est l’esprit dans lequel agissent les Allemands en ces circonstances, c’est la tranquillité de conscience où les laissent de pareils actes. L’agent le plus actif de la propagande allemande en Alsace à cette heure est un ancien réfugié politique, exilé d’Allemagne, que la France a reçu autrefois, et qu’elle a comblé de bienfaits. Il nous devait au moins le silence. L’heure présente en Europe est à l’admiration de l’Allemagne, et pourtant quel historien, quelque peu au fait du passé de l’esprit germanique et de ses formes, considérant ce qu’il y a encore de tudesque dans ce peuple, effrayé de l’empire que la passion grossière peut prendre sur lui à la longue, des éblouissemens que lui donne la victoire, des erreurs où l’entraîne sa sophistique, voudrait dire que la puissance allemande est désormais établie sur des bases solides ?

Les sentimens qu’éprouve l’Allemagne à l’égard de l’Alsace sont très simples. La réunion si ardemment désirée de cette province à l’empire est une consécration solennelle de la revanche que les armes confédérées ont prise sur les nôtres. L’Allemagne souffrait cruellement de ses défaites. Quand une fois une vive douleur l’a atteinte au cœur, elle ne saurait s’en distraire ; elle la contemple, elle l’analyse, elle la nourrit, elle ne sait pas oublier. Le rôle secondaire qu’elle a joué longtemps dans la politique générale de l’Europe l’irritait à chaque instant ; elle ne pouvait se lasser de comparer ses qualités morales et scientifiques au peu d’influence acquise à l’autorité germanique, et, bien qu’elle aime à vivre chez elle, qu’elle soit subjective en politique comme en philosophie, son amour-propre était sans cesse froissé. Il lui fallait un de ces remaniemens de frontières qui sont pendant de longues années un souvenir de victoire et un titre d’orgueil ; certes elle n’a pas l’espérance d’avoir beaucoup plus d’action que par le passé sur le mouvement des idées en Europe, et tous ses anciens défauts la blesseront souvent encore ; elle se consolera en regardant ses limites de l’ouest, ces pays conquis, preuve matérielle de sa force. Pour le repos des esprits en Allemagne, pour leur parfait contentement, il fallait cette conquête. Ils l’ont désirée durant deux siècles, elle met le comble à leurs vœux ; mais elle a surtout pour eux une valeur morale, c’est la grande satisfaction que réclamait leur patriotisme, si ferme, si ardent, si absolu. Il n’y a eu qu’un cri au-delà du Rhin pour la réunion de l’Alsace ; M. de Bismarck, eût-il voulu y renoncer, ne l’eût pas pu. À côté des sentimens qui rendaient cette conquête né-