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LA PROPAGANDE PRUSSIENNE EN ALSACE.

le remède à bien des maux : il a fallu près de dix siècles à l’opinion germanique pour essayer sérieusement de réaliser cette unité. Celui qui pense qu’elle est accomplie aujourd’hui peut s’attendre à de rudes mécomptes ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, ce qui fait le prix de l’unité conquise pour les Allemands, c’est le droit qu’ils ont désormais de vivre chez eux, pour eux, comme ils l’entendent. La préoccupation presque exclusive du sol touche de près à l’égoïsme. J’entends dire partout que le manque de générosité est le trait distinctif du caractère allemand. Il faut expliquer ce reproche que font à l’Allemagne des hommes qui l’ont beaucoup admirée. L’habitude de négliger les autres dispose peu à leur donner beaucoup ; on finit par ne voir que soi, par exalter sans y songer ses intérêts, ses passions, ses qualités, par attacher peu de prix à cet échange de bons offices qui est une des conditions de la vie sociale, Une autre conséquence de cette vie individuelle si intense, conséquence plus grave peut-être que toutes les autres est la difficulté à subordonner les idées selon leur valeur.

Le tact que les Allemande n’ont pas dans les travaux intellectuels, le goût qui leur manque dans les arts, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, leur manque aussi dans l’ordre moral ; mais ici ce défaut est plus sérieux, il les mène à des confusions coupables. Un homme ne saurait trouver dans la vie intérieure la mesure de toutes choses ; il en est de même d’une nation. Le don qui permet de subordonner les sentimens qu’on éprouve les uns aux autres, de les apprécier à leur valeur, naît de l’activité sociale, où les comparaisons sont incessantes, où la conscience les fait à son insu. Le propre de la vie intérieure est de fortifier tous les sentimens qui la remplissent. Les Allemands arrivent ainsi à ressentir le patriotisme, l’amour, l’admiration du beau, avec une ardeur dont témoigne leur poésie ; ils s’en remplissent, ils s’en enchantent. La conscience est dans la vie morale ce qu’est le sérieux dans la vie intellectuelle. Si on entend par conscience l’habitude de réfléchir sur les faits de l’ordre moral, les Allemands n’ont pas de rivaux ; si on veut au contraire que la marque d’une conscience sûre soit la facilité à distinguer le mérite des mobiles qui nous font agir, de tout coordonner par de justes comparaisons, leur conscience ne peut être qu’imparfaite. On ne vit pas en soi sans avoir une estime raisonnée de soi-même, un système d’estime à son propre sujet. Cet orgueil est moins instinctif que réfléchi ; il est non pas inné, mais acquis, et par cela même aussi exclusif qu’inébranlable. Cette lenteur d’impression, cette habitude de réfléchir, ont pour résultat l’hésitation quand il faut agir, à moins que, par une longue préparation, l’esprit n’ait arrêté un plan complet et certain ; l’action alors ne saurait plus qu’être intrépide : il faut qu’elle aille droit au but. Quand un sentiment naît dans une âme