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LA PROPAGANDE PRUSSIENNE EN ALSACE.

ment irrésistible. « Nous le savons, dit-il, vous gardez le souvenir du bombardement. Moi-même, j’en ai été longtemps affligé ; il me paraissait une tache pour notre nation : beaucoup de nos artilleurs pleuraient en vous incendiant. Une réflexion a calmé ma conscience ; il fallait que l’armée ne s’attardât point à ce siège : il y avait là une nécessité, vous n’y aviez sans doute pas songé. »

Nous accusons les Allemands d’hypocrisie ; il serait plus juste d’essayer de les comprendre. Ce qui explique, semble-t-il, ces raisonnemens qui nous froissent, c’est la nature même de ce peuple. Il porte en lui à un égal degré des sentimens différens et contradictoires ; il n’étouffe pas les uns au profit des autres, il les laisse vivre et se développer, il en subit tour à tour l’influence, et, comme il est consciencieux, il veut accorder les contraires. Que dans la métaphysique transcendante le oui soit égal au non, c’est là une doctrine qu’on discute dans l’école ; dans la vie, le pour et le contre ne peuvent s’accorder que par des efforts de subtilités, que par des raisonnemens que la logique appelle sophismes. Il y a une sophistique allemande innée ; elle est pour ce peuple ce que la légèreté est pour nous, un trait du caractère national. Les Allemands ne sont pas responsables de la forme d’esprit qui leur est propre ; mais leurs qualités mêmes contribuent à rendre ce côté de leur esprit plus ingénieux et plus faux : plus ils éprouvent avec force les sentimens qui sont l’honneur de leur race, plus il leur est difficile de les associer aux passions moins nobles qui sont en eux. Leur sérieux même et le désir de tout concilier contribuent encore à rendre le mal plus profond. Un peuple moins réfléchi, moins préoccupé de raisonner ce qu’il éprouve et ce qu’il fait, serait simplement tantôt bon, tantôt mauvais. L’Allemagne ne peut se laisser vivre ainsi au hasard ; elle cherche le lien qui permet de réunir les contraires, et, quand elle croit le trouver, elle ne se paie que d’illusions. Il faut étudier cette sophistique de plus près ; elle en vaut la peine.

Le caractère allemand est surtout subjectif. Les sentimens ne l’émeuvent qu’avec lenteur ; d’ordinaire les accidens ne font que l’effleurer. Il faut du temps à la passion pour le dominer ; mais, quand elle a fait son œuvre, elle a si bien pénétré l’être tout entier que son empire est désormais absolu. Il en est de même dans l’ordre intellectuel. Les méridionaux, les Grecs par exemple, saisissent tout à première entrevue, ou plutôt croient tout saisir ; il faut que l’Allemand examine, considère, analyse et discute : il est naturellement réfléchi. Sa vie est donc surtout intérieure. Les autres le préoccupent peu ; il n’en a pas besoin, il vit avec lui-même. Toutes les forces qui chez certaines races sont sans cesse dispersées par une activité qui ne s’arrête pas, il les réunit, il les concentre en