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difficile de le maintenir toujours à une hauteur digne de la science. Dégagé des préoccupations propres à l’heure présente, il peut devenir une discussion où les adversaires, désireux seulement de trouver la vérité, laissent de côté les armes usées de la polémique.

I.

Les formes de raisonnement de l’Allemagne ne sont pas de tout point semblables aux nôtres. C’est là une vérifié qu’il faut d’abord rendre sensible ; quelques exemples en diront plus que tout essai de définition, et peut-être feront-ils comprendre aux Allemands eux-mêmes une des grandes difficultés que nous rencontrons dans une discussion loyale avec eux. Pendant le siège de Strasbourg, alors que le bombardement était le plus violent, M. le grand-duc de Bade adressa de Mundolsheim au général Uhrich une lettre qu’il faut reproduire tout entière, bien qu’elle n’ait pas le mérite de la brièveté.

« Monsieur,

« En bon voisin de l’Alsace et particulièrement de la ville de Strasbourg, dont les souffrances me causent une vive douleur, je m’adresse à vous en vous priant d’attribuer ma démarche à la nécessité de mettre fin le plus tôt possible aux souffrances d’une malheureuse population soumise aux lois de la guerre.

« Général, vous avez défendu avec vigueur la place que le gouvernement vous a confiée. L’opinion militaire de ceux qui vous assiègent rend pleinement justice à l’énergie et au courage avec lesquels vous avez dirigé la défense de la forteresse.

« Vous savez, monsieur, que vous n’avez rien à attendre ni du gouvernement auquel vous avez à rendre compte, ni de l’armée à laquelle vous appartenez.

« Permettez-moi donc de vous faire observer qu’une plus longue défense de Strasbourg ne pourra avoir d’autres suites que d’augmenter les maux des malheureux citoyens de cette ville, et de vous priver de la possibilité de stipuler de bonnes conditions pour vous et la garnison le jour où l’armée assiégeante prendra la ville d’assaut.

« Vous connaissez l’état actuel des travaux de siège, et vous ne doutez pas un seul instant que la prise de Strasbourg ne soit inévitable ; elle coûtera bien cher à la garnison et aura des suites plus désastreuses encore pour la pauvre ville.

« Général, vous n’avez plus de compte à rendre à un gouvernement légal ; vous n’êtes plus responsable que devant Dieu. Votre conscience, votre honneur, sont saufs. Vous avez bravement rempli votre devoir en officier dont l’honneur militaire est sans tache.

« Vous savez, monsieur, que le roi Guillaume a accordé des conditions