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que ce métier que vous faites ? — Ce n’est pas un métier, c’est une vocation, un ministère moral que nous remplissons pour améliorer les âmes. — Ah ! des blagues, tout cela ! Enfin quel tas d’histoires faites-vous au peuple ? — Nous lui enseignons la religion de notre seigneur Jésus-Christ. — Il n’y a plus de seigneur, nous ne connaissons pas de seigneur. — Voici ce que disait au bon abbé le directeur de la prison dans un moment d’épanchement : — Moi aussi, j’ai des idées religieuses. J’ai voulu me faire frère morave. Après ça, j’ai eu l’idée de me faire chartreux ; mais j’aime mieux me faire mormon. »

« L’abbé Deguerry ajouta qu’il n’avait besoin de rien, que sa domestique lui faisait passer ce qu’il demandait. En effet, sur la table se trouvaient plusieurs oranges, du chocolat et quelques bouteilles. — Nous recevons des journaux, me dit-il. Ah ! je voudrais bien que vous m’apportiez la Grandeur et la Décadence des Romains de Montesquieu. — Bien volontiers, monsieur le curé, je vous l’apporterai mardi en revenant vous voir. — Vous pouvez revenir, n’est-ce pas ? — Assurément, tant que je voudrai. Ma permission n’est pas limitée. — Ah ! j’en suis bien heureux, bien heureux : que je vous remercie ! — Le digne homme en disant cela s’attendrissait, et les larmes le gagnèrent. Je m’étais levé. En faisant les deux ou trois pas qui nous séparaient de la porte, il me tenait la main. Arrivés au bout de la cellule : — Allons, me dit-il, cher ami, portez mes tendresses à votre mère. Vous lui direz que j’ai pleuré. — En effet, il m’embrassa en sanglotant. — Allons, allons, dit-il en se remettant, à mardi… N’oubliez pas mon livre… »

M. Rousse devait défendre l’archevêque le vendredi suivant. Plusieurs de ses confrères et d’autres encore avaient vivement sollicité de lui l’honneur de concourir à la défense des otages. L’entrée des troupes de Versailles empêcha ce simulacre de jugement, mais non l’abominable massacre des prêtres prisonniers à Mazas et à La Roquette, et des dominicains d’Arcueil. Notre histoire n’a pas de page plus affreuse. Ce meurtre est une inconsolable douleur dans nos désastres.

Je ne pourrai rien ajouter à ce qui est maintenant connu du monde entier sur la grande et terrible semaine qui a vu notre délivrance. Nulle parole ne peut rendre ce que nous avons éprouvé de gratitude pour ces nobles soldats de la France, représentans d’une armée déjà régénérée, alors qu’ils plantaient sous nos yeux le drapeau de la patrie sur les barricades conquises par leur vaillance et l’habile direction de leurs officiers. Nulle opération militaire n’a été plus savamment menée que cette suite de mouvemens tournans qui ont enveloppé l’émeute de retranchemens en retranchemens ; mais ce qui s’exprime plus difficilement que notre reconnaissance,