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— Oh ! non, ce sont eux qui ont tiré des coups de revolver. — Vous croyez cela ? — Oui, il y a des preuves. — Écoutez, monsieur Protot, ce n’est pas le moment de discuter cela. Je voudrais seulement savoir si vous comptez faire juger M. Chaudey, devant quelle juridiction, et comment je puis lui être utile. — Si M. Chaudey est coupable, le jury d’accusation le mettra en jugement. Vous avez dû voir le projet de décret que j’ai soumis hier à la commune. Je ne sais pas si elle l’adoptera. Il y a des garanties pour les accusés. — Je pense au moins, sans avoir lu votre projet, qu’il doit y avoir des garanties pour les accusés ! — Oh ! oui, il doit y en avoir, répéta M. Protot machinalement, fort mal à son aise et embarrassé de son personnage, il doit y en avoir. — Eh bien ! je voudrais voir M. Chaudey ; pouvez-vous m’en donner le moyen ? — Oui, je pourrai sans doute vous donner un permis, mais pas aujourd’hui, cela me créerait un conflit avec le délégué à la sûreté. Seulement, dans quelques jours, si vous voulez bien revenir, je vous donnerai une permission. — Soit, lui dis-je, je reviendrai. — Et comme je n’avais plus rien à faire dans cette caverne de justice où j’étouffais de colère, je me levai et sortis, reconduit jusqu’à moitié chemin par ce malheureux, plus empêtré devant moi dans les poches de sa vareuse que jamais chancelier de France ne le fut dans les plis de sa simarre. »

On sait ce qu’il advint du malheureux M. Chaudey, et avec quel horrible cynisme le meurtre fut consommé. Nous donnons sans commentaire le récit des démarches de M. Rousse en faveur des prêtres incarcérés.

« Je me dirigeai à tout hasard vers les dépendances de la cour d’assises par l’entrée des avocats, qu’un factionnaire me laissa franchir sans obstacle. Pas un huissier, pas un garçon, pas un bruit : une maison abandonnée. J’ouvre discrètement deux portes : personne. En passant devant la chambre du conseil, machinalement je tourne le bouton, et je pousse la porte. À ma grande surprise, je me trouve devant sept ou huit individus assis sans ordre autour de la salle et discutant. Un seul était debout devant la table ; c’était un petit homme d’une trentaine d’années, brun, portant toute sa barbe, à l’air actif et cassant, la boutonnière ornée d’un large ruban rouge frangé d’or. J’allais me retirer, lorsque l’individu lève la tête, et, m’interpellant du ton le plus brutal : — Qu’est-ce que c’est ? — À cet accueil insolite, au lieu de sortir, je fis un pas en avant, et fermant la porte : — On m’avait dit que je trouverais ici le procureur de la commune. — Ah ! et alors on vient comme ça vous causer ? — Oh ! permettez, repris-je avec sang-froid. Si je suis entré ici, c’est que je n’ai trouvé ni garçon, ni huissier. Je connais les usages du palais, je suis avocat et bâtonnier de l’ordre. — Cette réponse changea immédiatement la situation. — Que voulez-vous, citoyen ?