Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/582

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voure servaient leur ignoble drapeau, égarés par l’ignorance et la passion ; c’était encore possible avant l’heure des grands crimes. Un malheureux blessé ne disait-il pas sur son lit d’ambulance : « Je serais un bien mauvais chrétien, si je n’avais pas confiance en Dieu après avoir perdu mon bras pour la république ! » Il ne comprenait pas qu’il l’avait perdu contre elle. Le mensonge était encore à l’œuvre aux avant-postes pour exagérer et multiplier les faits déplorables et cruels que la guerre civile ne manque jamais d’enfanter. À la fin d’avril, les forts du sud étaient fortement menacés ; Asnières était perdu et le château de Bécon pris. Déjà on se préparait à la lutte dans les rues. Un malheureux « guenillard rouge » dirigeait la commission des barricades. On a pu juger de son talent. Il organisait à ciel ouvert une nouvelle conspiration des poudres, car il parlait sans ambages de ses desseins sur les égouts. Chaque pas en avant de l’armée était marqué par une recrudescence de fureur démagogique et par de nouvelles accusations de trahison. Cluseret succomba bien vite sous cet esprit d’universelle défiance, et passa du ministère de la guerre à Mazas. Il fut remplacé par le colonel Rossel, qui devait s’user plus rapidement encore.

Plusieurs essais de transaction furent tentés des deux côtés. La « ligue républicaine, » d’ailleurs sans mandat, essaya de s’interposer ; mais elle rendit sa démarche inutile en mettant sur le même rang l’assemblée, qui représentait la France, et la commune insurrectionnelle, à laquelle elle faisait des concessions fort graves dans son programme. Les députés de Paris demeurés à Versailles étaient bien plus dans le vrai en soutenant le droit absolu de la représentation nationale, ce qui ne les empêchait pas d’exprimer la plus amère tristesse devant les déchiremens de la patrie. La commune ne voulait entendre parler d’aucune conciliation ; elle interdisait même les réunions publiques convoquées à cet effet. Elle vit pourtant de bon œil le grand meeting tenu le 30 avril dans la cour du Louvre par de prétendus représentans de la province. Elle était bien sûre que, sous la présidence de l’habile Millière, la délibération ne courrait pas le risque de tourner contre elle. En effet, le débat fut singulièrement abrégé. Millière, qui était l’un des plus venimeux démagogues que nous ayons entendus, s’écria : Montons au Capitole, en d’autres termes, à l’Hôtel de Ville. Les clairons, les tambours et les drapeaux rouges, par le plus grand des hasards, étaient tout préparés. C’est ainsi que sans discussion les citoyens des départemens furent entraînés aux pieds de la commune. Les francs-maçons donnèrent la même comédie quelques jours plus tard. Quiconque désirait sincèrement la conciliation aurait dû reconnaître que tout ce qui était admissible était accordé par le chef du pouvoir exécu-