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LE 18 MARS


La sédition du 18 mars est pleine d’enseignemens cruels, mais salutaires, qu’il importe de recueillir. Elle a déchiré les derniers voiles sur l’état réel de la société française. Comme une maladie révèle le vice caché d’une constitution, cette crise manifeste un mal profond qui n’attendait que l’occasion d’éclater. Pour qui a suivi de près notre histoire morale depuis vingt ans et s’est rendu compte des passions qui couvaient dans les masses populaires, les derniers événemens n’ont rien d’inexplicable ; à plusieurs reprises déjà, le flot qui a failli nous engloutir était venu se heurter aux barrières légales qui le contenaient. Gardons-nous donc de ne voir qu’une surprise dans l’aventure du 18 mars. Ce mouvement de la populace parisienne fut déterminé par des causes plus éloignées qu’il faut démêler, par des élémens compliqués qu’il faut analyser, si nous ne voulons après la victoire laisser subsister les germes de l’insurrection.

I.

Pour expliquer comment une population considérable a pu être entraînée à une révolte criminelle, l’équité commande de tenir compte des circonstances exceptionnelles où Paris avait été jeté depuis de longs mois. Que les malheurs et les crimes dont il vient d’être le théâtre ne nous fassent pas oublier son héroïsme pendant le siège. Il fut calme et fier devant la catastrophe de Sedan, alors que de toutes parts on doutait de sa résistance. Il fut résigné devant le froid et la faim, et montra une bonne humeur vaillante sous les obus du bombardement. Il brûlait de combattre, sauf la populace, déjà gangrenée par les mauvais clubs. Cette ardeur n’a pas été employée ; elle a été violemment refoulée par la nouvelle de la capitulation, qui fut une affreuse surprise pour tous ceux qui n’appli-