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préliminaires. Ce qu’il y a de grave, de caractéristique dans ce traité de Francfort, ce n’est pas cette clause, qui a paru si blessante et par laquelle la France s’oblige à favoriser la rentrée des Allemands expulsés au commencement de la guerre, à les réintégrer dans leurs droits. En définitive, c’est à peu de chose près une disposition de droit commun, et ce qu’il peut y avoir d’humiliant, c’est que cela soit stipulé d’une façon particulière. Au surplus qu’a obtenu en réalité M. de Bismarck ? Le gouvernement n’y peut rien. C’est aux simples citoyens français de savoir ce qu’ils doivent faire, de mesurer aux Allemands leur position en France, d’avoir avec eux des relations d’industrie et de commerce, ou de n’en point avoir. Ce n’est point là ce qui doit frapper dans la paix de Francfort. Ce qu’il y a de pénible, ce qui est une véritable aggravation, le voici. D’après les préliminaires, l’évacuation prussienne devait commencer autour de Paris aussitôt après le paiement de premier demi-milliard et la signature de la paix définitive ; aujourd’hui la retraite des forces étrangères s’effectuera lorsque « le gouvernement allemand jugera le rétablissement de l’ordre, tant en France que dans Paris, suffisant pour assurer l’exécution des engagemens contractés par la France. » En d’autres termes, la Prusse se constitue l’arbitre de notre situation intérieure, et dans tous les cas elle est libre de ne commencer sa retraite, de ne quitter les forts de Paris qu’après le paiement d’une somme qui, de 500 millions, est portée à 1 milliard 1/2. Ce n’est pas tout : l’occupation est loin d’être allégée ; au lieu d’être assez nettement définie comme elle l’était dans les préliminaires, elle reste jusqu’à un certain point livrée à la discrétion de l’occupant. Le droit de réquisition cesse d’exister ou est suspendu, c’est vrai ; mais, si le gouvernement français met quelque retard dans l’exécution de ses engagemens financiers, « les troupes allemandes auront le droit de se procurer ce qui sera nécessaire à leurs besoins, en levant des impôts et des réquisitions dans les départemens occupés, et même en dehors de ceux-ci, si leurs ressources n’étaient pas suffisantes ;… » c’est-à-dire que le droit de réquisition et de contribution peut en certains cas s’étendre indéfiniment dans des proportions dont l’autorité prussienne est seule juge, de même que seule elle est juge du « rétablissement de l’ordre » en France.

Que signifient ces dispositions aggravantes ? Elles ont un sens trop clair, elles sont le déplorable pris de nos récentes misères intérieures. Que voulez-vous ? M. de Bismarck prend ses garanties contre une présomption d’insolvabilité de la France. Cette présomption, qui donc l’a créée ? Il y a trois mois, personne ne doutait que la France ne fût prête à remplir ses engagemens, et même à devancer les termes assignés à sa libération financière. Notre pays se relevait du champ de bataille mutilé, sanglant, mais encore plein d’une vitalité qui imposait la confiance.