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fois dans plusieurs siècles pour pousser leur pays à la perdition totale par les déchiremens, par l’impuissance et l’avilissement devant l’ennemi. Quand des hommes qui semblaient avoir atteint le dernier degré de la violence, qui sont restés jusqu’ici comme des types et qui sont aujourd’hui tristement dépassés, exerçaient cette tyrannie sanguinaire qui s’est appelée la terreur de 1793, ces hommes gardaient au moins une vertu, c’étaient des patriotes qui poussaient l’orgueil national jusqu’au fanatisme, qui s’armaient justement de ce patriotisme farouche pour dompter toutes les résistances ; ils n’auraient à coup sûr ni abattu des colonnes pour faire plaisir à l’étranger campé à Saint-Denis, ni songé à incendier Paris, une des forces de la France, pour ne pas le laisser debout aux girondins. Ceux qui ont voulu les singer en 1871, et qui n’ont pu singer que leurs crimes, ont eu précisément pour caractère d’avoir perdu en quelque sorte le sens patriotique, d’avoir travaillé pour l’étranger. Ils ont trouvé le moyen d’ajouter aux humiliations nationales, d’aggraver une situation qui semblait ne plus pouvoir être aggravée.

On a dit, tant le malheur rend soupçonneux et développe cette habitude de chercher partout quelque combinaison occulte, on a dit que M. de Bismarck avait dû tout au moins soudoyer, encourager secrètement l’insurrection de Paris. Pourquoi donc le chancelier allemand aurait-il mis la main dans toutes ces choses lorsqu’on faisait si bien ses affaires sans qu’il eût à s’en mêler ? D’ailleurs, si c’eût été passablement indigne, M. de Bismarck après tout eût fait encore jusqu’à un certain point son métier. Ceux qui ne faisaient pas leur devoir, c’étaient les Français qui s’employaient si vaillamment pour lui, qui inclinaient devant sa gloire les monumens de la gloire nationale.

Non, M. de Bismarck n’a pas dû commettre cette indignité, il n’a pas eu besoin de fomenter nos discordes ; mais il en a impitoyablement abusé, il a profité de l’effroyable situation que nous créait la révolte de Paris pour pressurer un peu plus la France, pour la rançonner plus vertement, pour nous faire acheter un peu plus cher le retour de nos soldats prisonniers d’Allemagne, pour nous imposer enfin ce traité que M. Jules Favre et M. Pouyer-Quertier sont allés signer à Francfort, et que l’assemblée aurait dû ratifier silencieusement sans le discuter, parce qu’on ne discute pas là où l’on ne peut rien changer. Certes la paix que nous avions acceptée était assez dure pour qu’on ne dût pas songer à l’aggraver, et pourtant, cela est bien certain, elle a été aggravée. Entre les préliminaires de Versailles et le traité définitif de Francfort que s’est-il donc passé ? Il y a eu la commune et son règne. M. le général Chanzy pouvait avoir raison de dire qu’il eût été juste de s’en tenir tout au moins aux préliminaires ; mais il a oublié de dire comment on aurait pu éluder les conditions nouvelles qu’on voulait nous imposer pour revenir aux