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mann-Chatrian écrivaient au comité bàlois le 21 janvier : « Les malheureux habitans de Phalsbourg, si rudement éprouvés par la guerre, viennent vous remercier de vos bienfaits. C’est au milieu des grandes infortunes qu’on apprend à connaître ses véritables amis ; jamais les cœurs français n’oublieront avec quel généreux empressement vous êtes accourus nous tendre des mains fraternelles. Soyez-en remerciés au nom de la patrie, de la religion, de l’humanité. D’autres bienfaiteurs nous ont prêté leurs secours au milieu de ces terribles circonstances ; mais quand le mal est sans bornes, quand après la destruction par le feu se présente la maladie, quand les réquisitions de toute nature vous accablent au sein même de la misère, alors il faut bien implorer encore ceux en qui repose notre confiance. Nous venons donc vous prier de continuer votre œuvre, et de ne pas oublier nos pauvres compatriotes. Ils sont dignes par leur courage, par leur patriotisme et leur reconnaissance de tout ce que vous pourrez faire encore pour eux. »

Le lendemain du jour où cette lettre arrivait à Bâle, le 22 janvier, trois délégués d’un nouveau comité qui venait de se former à Porrentruy partaient pour Belfort : c’étaient un officier supérieur de l’armée fédérale, M. E. Froté, accompagné de MM. G. Bischoff et Kaiser. Les assiégés de cette place, celle qui tint jusqu’au bout et qui nous reste, étaient horriblement maltraités ; ils vivaient dans des caves et des casemates, et la petite vérole les décimait. Il s’agissait d’obtenir pour eux la même faveur qui avait été accordée aux habitans de Strasbourg ; mais la tentative avait déjà échoué une fois, malgré l’appui des vice-consuls de l’Amérique du Nord et de l’Espagne. Le général Treskow reçut les délégués dans une chambre si petite qu’il était impossible de s’y asseoir, excellent moyen d’abréger les négociations. Aux premières ouvertures de nos philanthropes, il répondit que les femmes de Belfort coupaient le nez des prisonniers, leur crevaient les yeux, leur arrachaient les oreilles, que pour sa part il ne pouvait pas transiger avec son devoir, et qu’au surplus le colonel Denfert, qui commandait la garnison, ne laisserait sortir personne. Les délégués demandèrent au moins la permission d’entrer dans la place pour s’en assurer, le général refusa net, en annonçant aux Suisses qu’on leur tirerait dessus, et les délégués durent s’éloigner sans avoir rien obtenu. Belfort tombé, des secours partirent de Bâle, de Porrentruy, de partout, pour cette pauvre place et pour toutes celles où les Allemands avaient passé, ne laissant que ruine et deuil : villages détruits, maisons découvertes ou trouées par des obus, murs abattus, meubles brisés ou dispersés, champs de bataille encore couverts de cadavres et de débris de cadavres. Plus une goutte de vin ou de liqueur ni une bouchée de